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lundi 1 août 2011

Le cerisier qui refusait de mourir




         Il devait bien y avoir trente ans que ce cerisier était là, au fond du jardin de notre maison, à lutter année après année contre les intempéries. Les rigueurs du climat, le vent, la pluie, la neige, la glace, le verglas, il les avait tous vaillamment affrontés, la tête haute. Et puis, un beau jour d’été, suite à un violent vent d’orage qui l’avait cravaché de toutes parts, incapable de protéger sa ramure plus longtemps avec ses forces qui diminuaient maintenant d’année en année, il s’était vu amputé de l’une de ses branches mères. Son fier profil sérieusement amoché à compter de ce jour, nous savions que le vieil arbre fruitier venait de commencer à baisser les bras. Désormais, il fatiguerait de plus en plus dans la tourmente. D’autant plus qu’un bref examen de son tronc nous avait révélé que des champignons parasites étaient lentement mais sûrement à le gangrener. Aussi fallait-il se résigner : ce vaillant combattant qui arrivait au crépuscule de sa vie venait nous rappeler brutalement que notre survie en ce monde est toujours aussi aléatoire. Tout comme cet arbre sur le déclin, nous sommes matière issue du néant, et nous allons y retourner.
            L’hiver suivant, alors que nous anticipions de le voir se coucher à tout jamais suite à quelque brusque réchauffement de la température qui nous amènerait un couvert glacé destructeur pour sa ramure, le vieux cerisier affrontait le vent et la neige sans broncher. Et émerveillés que nous étions au printemps de le voir éclore et s’épanouir tout en fleurs comme ces années où il avait embelli le jardin de nos souvenirs, on l’avait cajolé et bichonné à qui mieux mieux, en le débarrassant de tout ce qui pouvait l’encombrer comme bois mort et tiges faiblardes, sans oublier une bonne dose d’engrais organique pour le revitaliser.
            Peine perdue, car l’été venu, les soudaines sautes d’humeur d’un orage estival venait une fois plus le lacérer cruellement, lui retranchant avec fracas une autre branche mère. Cette fois, ce vent mauvais que nous avions vu pivoter et tournoyer autour de sa tête toute ébouriffée lui avait asséné un si rude coup, que nous avions compris en un instant que l’hiver à venir serait fatal à notre vieux compagnon. Il n’était plus que l’ombre de lui-même, mutilé, desséché, dégarni de la presque totalité de son feuillage et de ses fruits, du fait de ses hideuses amputations.
            L’hiver de retour donc, notre vieux cerisier qui, telle une sentinelle gelée continuait de veiller seul au fond du jardin dans le froid et la neige, avait vaillamment résisté une fois de plus aux rigueurs de la saison froide. Puis, alors qu’on arrivait à la mi-mars et qu’un printemps hâtif s’annonçait déjà, une pluie verglaçante avait commencé à tomber avec la venue de la nuit, couvrant lentement mais sûrement les arbres de notre quartier d’une épaisse couche de glace. Au matin, à notre réveil, la pluie avait cessé, mais la température avait continué de se maintenir à la hausse. Si bien que les maisons de la rue semblaient à présent comme autant d’îlots perdus au milieu d’une mer de brouillard. Et au fond du jardin, étrangement irréel au sein de toute cette pâleur fantomatique, pareil à une épave éventrée sur quelque écueil à fleur d’eau, le vieil arbre s’était couché sur son flanc avec ce qui lui restait de vergues et de gréement, son grand mât sectionné net par le milieu, mettant du coup au fond de notre âme comme un étrange désespoir : personne n’avait vu ou entendu quoi que ce soit de ses derniers instants de vie !
            L’épaisseur de la neige dans le jardin nous empêchant de disposer dans l’immédiat des restes disloqués du trépassé, nous avions décidé d’attendre le milieu du printemps avant de procéder à leur démembrement. Les jours et les semaines passant, la température avait commencé à s’adoucir et la végétation à renaître. Ça et là dans les jardins des alentours, des arbres fruitiers s’ornaient déjà de fleurs timides, ce alors que notre vieux cerisier étêté reposait toujours grotesquement sur son flanc, au milieu de la pelouse verdoyante. Ne pouvant plus supporter le spectacle de ses membres amputés, nous nous décidions enfin à procéder à leur enlèvement. Et alors qu’on jouait déjà bruyamment de la scie mécanique pour s’acquitter de cette tâche, notre attention avait été attirée soudainement par de jeunes pousses en fleurs qui avaient pris vie à la base même du tronc de l’arbre. Fasciné par cette découverte et curieux de savoir ce qu’il résulterait de cette vie bien fragile, au lieu de raser le cerisier au sol tel que prévu, on lui laissait une cinquantaine de centimètres de souche, histoire de ne pas nuire à ces petites ramures naissantes.
            Et ô surprise, avec la venue de l’été, ces jeunes rameaux avaient continué à croître en beauté et en force. Si bien, qu’à l’approche de l’hiver, ils semblaient bien armés pour affronter les rigueurs de la saison froide. N’attachant pas plus d’importance à l’événement, ce n’était qu’au printemps suivant, avec la floraison des premiers arbres fruitiers, que notre étonnement du début s’était transformé en véritable émerveillement, devant le perpétuel miracle de la vie. Notre vieux cerisier nous avait présenté fièrement ses rejetons : tous pimpants et resplendissants de vie, couverts de fleurs depuis le tronc jusqu’aux plus fines ramilles! Et cinq ans plus tard, le ressuscité avait déjà si fière allure qu’il faisait l’admiration de tous nos voisins et amis. Des rameaux touffus se coiffaient d’une fière chevelure de plus de trois mètres de diamètre couverte de fruits et ondulant avec grâce sous les caprices du vent!
            Pareille renaissance n’interpelle-t-elle pas chacun d’entre nous, avec le poids de l’âge? Ne nous incite-t-elle pas, avant de quitter ce monde que nous aurons à peine effleuré, à faire  un bilan de ce que nous aurons laissé derrière nous, afin de s’assurer que notre existence ne soit pas seulement une longue suite de joies, de peines et de déceptions qui se seront avérées aussi fugitives que la trace du vent dans les feuilles?
            Faute d’être des modèles de perfection susceptibles d’inspirer les générations à venir et les tirer vers le haut, peut-être pourrions-nous penser à changer notre vie en bien, si ce n’est déjà fait, afin de laisser au moins une trace inspirante de notre passage ici-bas. Et si à ce titre, en faisant le bilan de notre vie, force nous est de constater que nous sommes déficients sur tous les plans de l’élévation du cœur dans ce que nous léguerons aux autres, peut-être que devant un tel constat, on pourrait partager cette méditation de Lamartine sur les destinées de l’homme : « Qui suis-je et que dois-je être? Je meurs et je ne sais pas ce que c’est que de naître »!
            Tout comme le Phénix, cet oiseau mythique qui renaît de ses cendres, il nous est possible à notre tour de renaître à la vie avec un cœur renouvelé. Même que le Christ en fait une condition sine qua none au salut. « En vérité, en vérité, je te le dis, nul, s’il ne naît d’En-haut, ne peut voir le royaume de Dieu. (Jean Chap. 3-Vers. 3) Revenir à l’état de grâce originel, à cet état de paix et de bonheur tranquilles que connaissent les cœurs contrits. Dès l’instant où nous sommes conscients du sentiment de notre indignité sous le regard de Dieu, nous abandonnons toute prétention pour nous-même. Nous redevenons terreau, humus favorable à notre renaissance et à notre plein épanouissement. Dieu ne construit pas avec les orgueilleux, il construit avec les humbles qui s’abandonnent entièrement entre ses mains. Alors que le prétentieux se suffit à lui-même, l’homme qui s’abaisse volontairement, par humilité, se tourne vers son semblable, partage avec lui sa précarité, sa faiblesse, mais aussi la grandeur qui a été déposée en lui à sa naissance.
            « Le chant du cygne », cette expression née d’une légende antique selon laquelle le cygne, connu pour son chant discordant, dirait adieu à la vie en émettant le son inédit le plus touchant et le plus merveilleux qu’il n’ait jamais effectué, ne nous donne-t-il pas à croire, que nous aussi, nous sommes capables de pareil chant particulièrement mélodieux, avant de nous éteindre? 
           
           

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