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lundi 27 juin 2011

Une prière difficile

« L’homme n’a pas fait que des bêtises depuis son apparition sur cette Terre, heureusement », comme le précisait si bien Hubert Reeves dans l’un de ses écrits. Ce qui est moins heureux cependant, c’est que nous sommes tributaires de notre passé. Nous devons donc assumer le meilleur comme le pire de nos réalisations. Une chose sûre, l’heure n’est plus à l’égocentrisme cupide que nous avons connu depuis toujours. Nous ne pouvons plus considérer le monde extérieur en fonction de notre seul intérêt. Fini de se mettre en orbite autour de notre petite personne. Notre dérive aveugle est à nous conduire vers une catastrophe planétaire sans précédent. L’humanité tout entière est embarquée dans un vaisseau pourri qui prend eau et menace carrément de faire naufrage, périr corps et biens. Et au lieu de s’entraider tous ensemble pour essayer de colmater les brèches, reprendre le contrôle de notre navire, on en est encore à s’entre-déchirer et s’entre-tuer, chacun tirant la couverture à soi pour s’approprier la meilleure ou la plus grosse part de ce qui reste encore à partager. Après moi Dieu et ses lois morales. Après moi les autres et leurs besoins. Après moi le Déluge!
Face à ce monde à la dérive qui entretient une culture de mort, deux alternatives s’offrent à nous. La première: on accepte ce qui est sans se poser de questions, tant on est égoïste, allergique à tout ce qui peut perturber notre petit confort étriqué, et tant aussi, n’ayons pas peur des mots, on a peur de son ombre et peur du changement. Notre monde continuera alors de s’obscurcir tel le soleil voilé par d’épais nuages, l’idée de Dieu comme source de direction éclairée dans nos vies ne jetant plus qu’une lueur incertaine. La seconde alternative: Trève de discours creux et de tâtonnements éternels sur les questions vitales pour la survie de l’humanité. Trève à cet « esprit d’intolérance et d’exclusion qui fait que l’on ne se contente jamais de la liberté pour soi, si l’on n’opprime en même temps celle des autres. » (Renan) Trève de la guerre de tous contre tous qui condamne le genre humain au bagne depuis toujours et enchaîne les nations modernes dans un imbroglio de systèmes creux et immoraux.
Etty Hillesum, une jeune juive hollandaise décédée à Auschwitz en 1943 et qui a vécu sa jeunesse dans l’athéisme avant d’embrasser la foi chrétienne, nous fait découvrir l’extraordinaire prise de conscience de son nouveau cheminement spirituel dans le livre : Etty Hillesum : Une vie bouleversée. E. du Seuil. Lors d’une étape de sa conversion, elle écrit : «Et la saloperie des autres est aussi en nous. Et je ne vois pas d’autres solutions, vraiment aucune autre solution que de rentrer en soi-même et d’extirper de son âme toute cette pourriture. Je ne crois plus que nous puissions corriger quoique ce soit dans le monde extérieur, que nous n’ayons d’abord corrigé en nous. L’unique leçon de cette guerre est de nous avoir appris à chercher en nous-mêmes et pas ailleurs.»
Et si à l’exemple de Etty Hillesum on s’exerçait nous aussi à chercher en nous la pourriture à extirper, puis à s’agenouiller, comme elle, courbés vers le sol, humblement, en guise de respect et de soumission envers l’Auteur de nos jours, pour lui demander de guider nos pas dans cette quête de vérité qui ne pourrait, à la fin, que nous être bénéfiques dans la résolution des problèmes de ce monde déchiré? Si chacun fait le ménage devant la porte de sa maison, la rue ne s’en trouve-t-elle pas nettoyée par contrecoup? L’exercice est plus difficile qu’on ne le croit, cependant. Pour ceux d’entre nous qui ont la nuque raide, certains pourraient même avoir grand mal à se plier à pareille introspection de peur, peut-être, de ce qu’ils pourraient découvrir comme « saloperie »,  ou bien par honte de s’agenouiller…
Vous semblez d’attaque pour relever le défi, compliquons l’exercice un peu plus avec cette prière du père Charles de Foucauld, ermite missionnaire au Sahara assassiné en 1916. Cette prière de soumission, si elle est dite du fond du cœur, tient presque de l’épreuve de foi, tant elle sous-entend d’abandon de la part de celui qui choisit de s’y livrer en toute confiance. « Mon Père, je me remets entre tes mains. Fais de moi selon ta sainte volonté, quelle qu’elle soit. Je te rends grâce, ô mon Dieu, je suis disposé à tout, j’accepte tout pourvu que ta sainte volonté s’accomplisse à travers moi comme à travers toutes tes créatures. Je ne désire rien d’autre, car tu es mon Père. »
Je sais que je vais faire sourire ceux qui identifient la prière à la pensée magique, mais si tous les hommes de ce monde désireux de changer des choses étaient capables d’un pareil élan du cœur, tout en unissant leurs efforts pour donner un nouveau visage à cette Terre déboussolée, qui sait, avec les lumières du Ciel en appui à leur travail, ce qu’ils pourraient arriver à corriger. Seuls les hommes ont le pouvoir de modifier le cours des choses ici-bas, puisque la Terre leur a été donnée en partage. Soutenus par une foi sans faille et guidés dans leurs actions par Celui qui a prévalu à notre entrée en ce monde, je parie sur leur victoire. Que dis-je : sur notre victoire!


vendredi 24 juin 2011

Adam et Ève : Mythe ou pas ? Un débat sans fin…




Dernièrement, lors d’une discussion entre amis sur l’éveil de la conscience dans l’homme, le nom d’Adam est prononcé. Aussitôt, une voix s’élève avec autorité au sein de notre groupe: — Comment continuer à croire à ce récit de sa chute et de son bannissement du jardin d’Eden pour avoir mangé du fruit défendu, quand on voit ce que la Genèse nous raconte à son sujet et celui de ses descendants? Pour moi, cela saute aux yeux, Adam et Ève, le Paradis terrestre, le fruit défendu, tout cela relève du mythe, tant ce récit a si peu à voir avec notre véritable descendance ici-bas. 
Sur le coup, je ne sais trop quoi répondre à cette affirmation. Mais comme le sujet est porteur, je choisis d’y regarder à plus près et d’en débattre lors d’une prochaine rencontre. Si comme le veut l’adage c’est par la confrontation des idées qu’on peut approcher de la vérité, le prochain round de notre échange de vues sur notre vénérable ancêtre promet d’être passionnant. Deux semaines plus tard on se rencontre de nouveau, et Adam revient au cœur de la discussion. Cette fois, c’est moi qui ouvre le débat :
 D’abord, une précision s’impose : les faits concernant les descendants d’Adam ne constituent pas une histoire de l’humanité. Un commentateur de la Bible a écrit au sujet de la prolifique progéniture de notre ancêtre que “la Bible ne nous donne pas à ce sujet une histoire proprement dite. Elle raconte ce qu’on pouvait se rappeler, et ces souvenirs ne sont pas dénués de valeur historique, bien que souvent ils expriment les idées que les tribus hébraïques se faisaient de l’histoire plus que de la réalité des faits.” Le scribe hébreu à l’origine de ces textes s’exprime donc dans les conditions de son temps. Ce qu’il écrit est le reflet de sa culture, celle de son temps, celle du Proche Orient des débuts de la “Révélation” plusieurs siècles avant notre ère. Un procédé littéraire qui serait commun apparemment avec celui de la protohistoire babylonienne.
 C’est Chamfort, je crois, qui a écrit que “cet arbre de la science du bien et du mal qui produit la mort est une belle allégorie.” Selon la conception biblique, le mal et la mort sont entrés dans le monde quand l’homme a succombé à la tentation de manger du fruit défendu. Avant de voir ce qu’il en est au juste du péché originel, rappelons d’abord la nature précise de l’interdit que Dieu avait donné à l’homme : De tous les fruits du jardin tu peux manger, mais de l’arbre de la science du bien et du mal tu n’en mangeras pas, car du jour où tu en mangeras tu mourrais. Le premier homme, nous dit un vénérable docteur, pécha par-dessus tout par le désir de devenir semblable à Dieu quant à la science du bien et du mal, suivant la suggestion que le serpent avait faite à Ève : Non, vous ne mourrez point. Dieu sait, en effet, que du jour où vous en mangerez, vos yeux s’ouvriront et que vous serez comme Dieu, connaissant le bien et le mal.
Que ce récit du Paradis perdu soit un mythe ou pas, il est devenu un des fondements de vérité de la Bible. Et comme celle-ci a été traduite à ce jour en plus de 2,000 langues, le moins que l’on puisse dire c’est que ce texte a fait du chemin depuis sa rédaction. Et ce qui le rend encore plus particulier, c’est qu’il n’est pas propre à la Bible, dans un sens. Il existerait des récits cosmogoniques semblables partout à travers le monde. Ils seraient incroyablement nombreux et diversifiés, et pour ainsi dire sous toutes les latitudes, et ils feraient état de la façon dont nous avons désobéi aux dieux. On les aurait nargués, paraît-il, en tentant de nous faire leurs égaux. Comme la relation de notre disgrâce semble commune à la plupart des cultures, on peut donc croire que quelque chose dans notre comportement a tout fait échouer. C’est notre rapport même au monde qui aurait été modifié suite à cette transgression, notre rapport à autrui, et jusqu’à l’ordre intérieur de notre être. En fait, c’est l’harmonie originelle des choses créées que nous aurions perturbé. Un dérèglement d’une portée incalculable, pour la continuité du monde. Le récit de la Genèse sur l’origine de l’Homme et du Mal tient de la Révélation. Or, pour un esprit élevé, cela demande des efforts de concilier le rationnel et le révélé, comme l’a écrit un célèbre humaniste. Il n’est pas facile de croire que des vérités cachées sont révélées aux hommes d’une manière surnaturelle.
Ce qui me défrise, c’est bien la nature mystérieuse de la faute de notre ancêtre commun. Elle semble tellement disproportionnée par rapport à notre capacité de compréhension des choses. Notre comportement est si inconséquent, nous gérons si mal notre liberté, nous sommes si faibles et inconstants. Le récit de la “ chute d’Adam ” conservera toujours un sens caché à mes yeux, malgré toutes les explications qu’on voudra bien m’en donner.
— En fait, si je te suis bien, commente une voix parmi le groupe, ton questionnement tiendrait au fait qu’Adam représente l’espèce humaine dans ce récit. Tu te dis que ce premier homme pouvait difficilement juger d’une action mauvaise en toute conscience, puisque de nos jours encore ses descendants ont toujours de la difficulté à former leur jugement avec soin sur la moralité de certains actes particuliers, et cela malgré tout l’encadrement moral et religieux rattaché aux bienfaits de la civilisation. L’avortement, par exemple, un cas de conscience pour des millions de personnes qui en ont fait un infanticide, alors que pour d’autres ce n’est pratiquement qu’un acte thérapeutique.
 Mon questionnement ne tient même qu’à cela. Mais peut-être Adam était-il doté d’une conscience droite, intègre, absolument pure. Et peut-être que pareille conscience lui apportait une connaissance profonde en toute chose. L’Église, dans son enseignement à ses ouailles, affirme qu’une des conséquences de la faute de nos premiers parents a été l’obscurcissement de notre intelligence et l’affaiblissement de notre volonté, en nous donnant une inclination au mal.
― Si on accepte cet énoncé, avance un autre collègue, cela sous-entend que notre monde était déjà l’enjeu de deux Esprits : le bon et son contraire. Adam était capable de se soustraire à la puissance de l’Esprit du mal, parce que Dieu le gardait de toute tentation, en échange de sa fidélité.
 Adam jouissait d’attributs que nous n’avons pas, c’est certain. Il est dit dans la Bible qu’il était à l’abri de la souffrance, n’était pas sujet à la mort, et que Dieu avait pourvu à son bien-être en l’installant confortablement dans un jardin de délices où il y connaissait un bonheur parfait. Pareils bienfaits devaient sûrement aller de pair avec des facultés intellectuelles hors du commun, une raison éclairée par la lumière de Dieu. Autrement dit, une conscience claire, alors que la nôtre peut facilement se tromper. Celle-ci est sujette à l’erreur, parce qu’elle peut se baser sur de faux principes ou mal raisonner, même en partant de principes vrais. Si Adam était conscient des actes qu’il posait, cela va de soi que la responsabilité de sa faute allait être d’autant plus grande. En acceptant de se soumettre à la consigne de ne pas manger du fruit défendu, Adam et Ève devaient obéir, s’abstenir, reconnaître en quelque sorte leur soumission. Passer outre cette défense formelle, c’était l’affranchissement, l’émancipation, l’individualisme, le premier pas vers la déification. “Vous serez comme des dieux”, avait dit le serpent, puisqu’ils allaient s’approprier une connaissance connue de Dieu seul. L’autonomie au lieu de la dépendance.
 Nos premiers parents rejetaient en quelque sorte la tutelle de leur Créateur pour décider plutôt par eux-mêmes de suivre leurs propres règles de conduite, sans référence aux valeurs divines inscrites dans leurs consciences… Subitement, les sources de l’éthique et de la morale ne viennent plus du Créateur, mais de la créature… N’est-ce pas toujours le cas aujourd’hui?

mardi 21 juin 2011

Le veau d'or




À la place d’un seul Maître très saint qu’ils auront refusé de servir comme il l’entend,  Adam et Ève, suite à leur condamnation, en serviront désormais autant d’autres qu’il y a en eux d’ignobles penchants. Entraînés loin de leur jardin de délices originel, ils connaîtront l’errance dans une terre de ronces et d’épines, pour y être esclaves dans leur âme, esclaves dans leur cœur, dans leur chair, engendrant dans leur exil une descendance stigmatisée par la même disgrâce, le même esclavage. Aveuglés par le despotisme de l’or et de la chair, ces exilés de la Raison, devenus inintelligents, troqueront l’Esprit de lumière et de vertu qui avait été déposé en eux, pour les trésors périssables de ce monde, faisant du Veau d’or et du culte du moi leur fin suprême.
Sans cesse en quête d’honneur et de jouissances, ce sera le moi en tout, le moi partout, le moi toujours pour ces nombrilistes, l’intelligence en eux étant réservée au seul service du corps et de ses appétits, du plus épais matérialisme. Toute leur vie durant, ces esclaves-nés s’échineront à poursuivre leurs rêves insensés, s’épuisant à chasser des fantômes, des riens, confondant tout, le vrai comme le faux, mettant en haut ce qui doit être en bas, en bas ce qui doit être en haut, accablés par un mal de vivre qui les fera passer par tous les registres du désespoir et de la fureur.
Osera-t-on vouloir aborder avec ces dupes orgueilleux de la nécessité d’un retour de l’homme à son Dieu, afin d’atteindre à la véritable connaissance des choses et sauver ce qui reste de notre monde, que leurs lèvres se retrousseront en un rictus moqueur : « Abstractions et chimères que tout cela, diront-ils dans un sourire grimaçant. Le Dieu du monde, c’est le plaisir!  Buvons et mangeons, car nous mourrons demain! »
Sur le penchant de notre ruine, devant la triste réalité de l’arène de mort dans laquelle nous nous débattons et où toutes les passions déchaînées s’y livrent une lutte sans merci, qui pourrait reprocher au sage de manquer de sobriété, s’il lui arrivait de qualifier pareille déchéance de ses semblables, par pareille sentence lapidaire : « De fils de roi, à gardeurs de pourceaux! »

samedi 18 juin 2011

Bernard-l’ermite


Il y a longtemps que Charles désirait connaître ce personnage particulier connu sous le pseudonyme de « bernard-l’ermite » parmi les riverains du lac où il avait choisi d’édifier sa résidence secondaire. À la belle saison, les enfants de Charles adoraient aller se balader en canot devant la modeste maison de campagne de l’individu construite à l’extrémité sud du lac. Le plaisir de son fils et de sa fille, c’était de se remplir les yeux du spectacle du « parc animalier » de l’intriguant riverain.
Cette année, par une belle journée d’été, cédant aux pressions de ses enfants, Charles saute dans le canot et pagaie jusqu’à la résidence de « bernard-l’ermite », afin d’aller voir par lui-même de quoi il en retourne avec cette demeure pour le moins originale. Le spectacle qui l’attend est plutôt singulier. Un îlot de verdure et de paix dans l’air duquel monte une joyeuse cacophonie de chants d’oiseaux. Pourtant la maison qui trône au centre de cet éden de verdure est sobre, pour ne pas dire dépouillée. Son seul véritable attrait, c’est son balcon surélevé, large à souhait et s’étendant sur toute la largeur de sa façade. Ce balcon a été construit autour de trois gros bouleaux dont les cimes couronnent à plus de vingt-cinq mètres du sol. Au premier coup d’œil, Charles compte pas moins de quatre mangeoires d’oiseaux suspendues à leurs branches, mangeoires autour desquelles tournoient et pépient gaiement des volatiles par dizaines. Indifférents à leur joyeuse présence, une dizaine de chats de gouttière, puissants et doux, paressent sur la galerie, à l’ombre des grands arbres. Sous le balcon, deux chiens de bonne taille font la sieste dans l’air embaumé des émanations aromatiques des sous-bois de juillet. Et en y regardant de plus près, on peut même encore apercevoir un raton laveur endormi perché au milieu des énormes ramures d’un pin, pendant que deux écureuils sautent de branche en branche.
Fasciné et amusé tout à la fois par ce tableau bucolique, Charles prend photo sur photo des charmes de l’emplacement, ayant encore repéré sous la frise d’une remise un nichoir pour chauves-souris quand, tout à coup, l’hôte des lieux se pointe sur la galerie de la maison. Spontanément, les deux hommes se saluent de la main et Charles, aussitôt, de complimenter le propriétaire des lieux pour l’aménagement de sa résidence, ainsi que la quiétude et la sérénité qui s’en dégagent. La conversation prenant vite un ton familier, sans plus de formalité, « bernard-l’ermite » invite son visiteur à venir le rejoindre sur la terrasse de sa maison pour admirer tout cela de plus près. Une heure plus tard, après avoir fait le tour de la place, caressé chats et chiens des lieux et tout appris de leurs noms, habitudes et spécificités caractérielles, « bernard-l’ermite » qui est visiblement en mal de confidences, commence à raconter sa vie à son visiteur.
L’homme est veuf depuis cinq ans et pensionné. Un veuvage difficile du fait qu’il est seul dans la vie, le couple n’ayant pas eu d’enfants. Comptable à l’emploi d’une modeste entreprise de transport au cours de sa vie active, l’allocation dont il dispose à la retraite ne lui permet aucun caprice dans l’existence. Le seul bien qu’il possède est cette petite maison de campagne sans prétention qu’il habite à l’année longue en compagnie de sa ménagerie, depuis qu’il a pris sa retraite. « Bernard-l’ermite » est d’une gaieté communicative. Contemplatif, il s’émerveille de tout. Le monde est son champ d’observation. La vie qui l’entoure est pour lui une éternelle source d’étonnement et de ravissement. Quand Charles fait remarquer à son hôte qu’il le perçoit comme un homme de concorde habité par une paix morale que rien ne peut troubler, ce dernier éclate d’un grand rire sonore, pour lui dire tout de go que malheureusement il n’en a pas toujours été ainsi au cours de sa vie.
Toute l’existence de « bernard-l’ermite » s’était déroulée pour ainsi dire dans une sorte de repli sur lui-même, à venir jusqu’au décès de sa femme Fermé aux autres, il avait vécu en orbite autour de son nombril, selon ses propres dires, le cœur lourd et l’esprit enveloppé comme d’un brouillard opaque, obnubilé par ses petits problèmes existentiels, les yeux rivés au sol à ergoter sur des vétilles et à croupir dans un monde d’insignifiance. Il avait choisi ce mot à dessein, parce que, disait-il, tout ce qu’il avait fait était dénué de véritable sens. Une vie où même ses prières avaient consisté en de vains balbutiements des lèvres, faute d’une sincère élévation du cœur.
Encore plus renfermé sur lui-même avec la venue de la retraite et son veuvage, l’homme avait choisi de finir ses jours dans la solitude de cette petite maison plantée en bordure du lac, y traînant des jours de plus en plus vides de sens, du fait de son peu de contacts avec autrui. Jusqu’au jour, où passant devant une librairie, il s’était senti comme interpellé par un livre exposé en vitrine : « Mère Teresa » : “ Les écrits intimes de la sainte de Calcutta”. La lecture de ce livre avait été un véritable choc pour lui, au point qu’il avait eu l’impression qu’un voile s’était déchiré devant ses yeux, suite à cela. « Bernard-l’ermite » avait compris que s’il traînait depuis toujours un cœur lourd, c’était peut-être parce que son contenu était trop léger, et que s’il avait vécu enveloppé d’un brouillard perpétuel, c’était peut-être bien, encore une fois, parce qu’il avait gardé les yeux fermés jusqu’à ce jour. Et il avait ouvert les volets de son cœur pour y laisser entrer la lumière à profusion.
Pour la première fois de son existence, « bernard-l’ermite » s’était arrêté à observer le monde qui l’entourait. Et il avait choisi d’y tenir un rôle, aussi modeste fut-il, à l’exemple de Mère Teresa, afin d’en soulager la détresse accablante de ses déshérités. Comme elle, il avait pris conscience de sa faiblesse, de ses limites, de sa pauvreté. Et ce « rien ni personne » dont il avait le sentiment d’être la personnification, il l’avait offert à son Dieu, le laissant libre d’agir à sa guise à travers lui. Il ne recherchait pas les grandes choses, il faisait seulement les petites choses de son humble existence avec amour et désintéressement. Et depuis le jour lointain de cette révélation, il avait eu le sentiment aigu que Dieu était à tout bouleverser en lui, à l’exemple de la « sainte de Calcutta », mais comme il n’avait aucune prétention, disait-il à son visiteur, la mine toute réjouie, Dieu était bien libre de faire ce qu’il voulait avec lui. Il était à sa disposition, aussi longtemps qu’Il le désirait.
« Bernard-l’ermite » est décédé à la fin de l’année dernière, suite à un accident cardiovasculaire. Dans les jours qui suivirent son décès, Charles, inquiet du sort qu’on allait réserver aux chats et aux chiens de sa ménagerie, choisit de prendre avec lui deux de ses félins, et s’occupa personnellement de trouver une famille d’accueil pour le reste des animaux de la maison. Toutes ces pauvres bêtes qui avaient été recueillies du vivant de « bernard-l’ermite » l’avaient été en raison du fait qu’elles vivaient dans l’errance. Et comme le vieil homme avait pris l’habitude de l’adoption, et qu’il était convaincu qu’en tant que chrétien il avait des obligations de partage envers les plus démunis, il avait encore trouvé le moyen, malgré ses faibles revenus, d’apporter son soutien matériel à un organisme international de parrainage d’enfants, en prenant à sa charge l’entretien et l’éducation de dix enfants… Tous musulmans.
Quand Charles s’était séparé de son hôte, le jour où il lui avait rendu visite, il avait remarqué, près de la sortie de la maison, une petite note toute jaunie rédigée à la main et épinglée à la hauteur des yeux. Une pensée du cru de « bernard-l’ermite », désireux sans doute de s’en imprégner l’esprit à chaque instant : « Aimer son prochain ne se résume pas à aimer son proche voisin, mais tout l’entourage. »

mercredi 15 juin 2011

Liberté chérie



« Le maire Jean Tremblay persiste… et prie » titrait La Presse Canadienne (Saguenay)  au début de mars 2011.
« En dépit d’un récent jugement du Tribunal des droits de la personne l’interdisant de le faire, le maire Jean Tremblay a récité sa traditionnelle prière avant le début de la séance du Conseil municipal de Saguenay, lundi soir. […] Jean Tremblay a confirmé après la séance qu’il avait des avis de ses avocats lui permettant, sans aucune réprimande du Tribunal, d’aller de l’avant avec sa prière. […] Dans un communiqué, (le collectif) “Citoyens pour la démocratie” a dit refuser que le maire Tremblay prétende parler au nom de l’ensemble des citoyens dans sa croisade pour la prière. […] Le Mouvement laïque québécois (MLQ) avait aussi donné instruction à son avocat d’entreprendre des procédures d’outrage au tribunal si le maire ne respectait pas l’ordonnance de cesser la récitation de la prière et de retirer les symboles religieux dans la salle du conseil. »
La prière au centre de toute cette polémique est la suivante : « Ô Dieu, éternel et tout-puissant, de qui vient tout pouvoir et toute sagesse, nous voici assemblés en votre présence pour assurer le bien et la prospérité de notre ville. Accordez-nous, nous vous en supplions, la lumière et l’énergie nécessaires pour que nos délibérations soient destinées à promouvoir l’honneur et la gloire de votre saint nom, et le bonheur spirituel et matériel de notre ville. Ainsi soit-il »
Nous vivons dans une société de droits. Tout le monde affirme ses droits, et tout le monde est prêt à se défendre bec et ongles pour les faire valoir. La grande question à se poser, c’est où s’arrêtent mes droits, et quand ceux-ci briment-ils ceux de l’autre? Là entre en scène l'exercice périlleux de la liberté. En suivant dans la presse écrite et télévisée les nombreux débats que suscite cette histoire de prière et toutes les passions qu’elle a déclenchées, je me demande ce qu’en aurait pensé le grand philosophe britannique John Stuart Mill, l’un des penseurs libéraux les plus influents du XIXe siècle. Dans son essai « De la liberté » publié en 1859, Mill s’interroge sur les questions essentielles du projet de société libérale. À quelles conditions et jusqu’où une société peut-elle empiéter sur la liberté des individus qui la composent? 
En relisant « De la liberté », j’ai choisi d’en partager avec vous les réflexions suscitées par ce bref passage :
[…] « tout ce qui affecte une personne peut en affecter d’autres par son intermédiaire; et l’objection qui se fonde sur cette éventualité fera l’objet de nos réflexions ultérieures. Voilà donc la région propre de la liberté humaine. Elle comprend d’abord le domaine intime de la conscience qui nécessite la liberté de conscience au sens le plus large : liberté de penser et de sentir, liberté absolue d’opinions et de sentiments sur tous les sujets, pratiques ou spéculatifs, scientifiques, moraux ou théologiques. La liberté d’exprimer et de publier des opinions peut sembler soumise à un principe différent, puisqu’elle appartient à cette partie de conduite de l’individu qui concerne autrui; mais comme elle est presque aussi importante que la liberté de penser elle-même, et qu’elle repose dans une large mesure sur les mêmes raisons, ces deux libertés sont pratiquement indissociables. C’est par ailleurs un principe qui requiert la liberté des goûts et des occupations, la liberté de tracer le plan de notre vie suivant notre caractère, d’agir à notre guise et risquer toutes les conséquences qui en résulteront, et cela sans en être empêchés par nos semblables tant que nous ne leur nuisons pas, même s’ils trouvaient notre conduite insensée, perverse ou mauvaise. En dernier lieu, c’est de cette liberté propre à chaque individu que résulte dans les mêmes limites, la liberté d’association entre individus : la liberté de s’unir dans n’importe quel but, à condition qu’il soit inoffensif pour autrui, que les associés soient majeurs et qu’il n’y ait eu dans leur enrôlement ni contrainte ni tromperie.
Une société – quelle que soit la forme de son gouvernement – n’est pas libre, à moins de respecter globalement ces libertés; et aucune n’est complètement libre si elles n’y sont pas absolues et sans réserves. La seule liberté digne de ce nom est de travailler à notre propre avancement à notre gré, aussi longtemps que nous ne cherchons pas priver les autres du leur ou à entraver leurs efforts pour l’obtenir. Chacun est le gardien naturel de sa propre santé aussi bien physique que mentale et spirituelle. L’humanité gagnera davantage à laisser chaque homme vivre comme bon lui semble qu’à le contraindre à vivre comme bon semble aux autres.»


dimanche 12 juin 2011

Les deux singes


Un beau jour, je regardais à la télévision un documentaire animalier tourné dans une jungle perdue de ce monde, à la saison des pluies. Il y était question, notamment, de la disette en nourriture qu’imposait aux singes cette saison des pluies particulièrement longue - plus de six mois -, et ceci année après année. Sous un ciel à l’uniformité grisâtre de laquelle s’abattait une pluie ininterrompue, deux singes perchés sur la haute branche d’un arbre et trempés comme des canards se tenaient l’un contre l’autre pour se réconforter et se réchauffer sous la flotte. Aux dires du narrateur, la nourriture se faisait plus rare à cette saison mouillée, en plus souvent d’être de mauvaise valeur nutritive. Du fait de la pluie incessante, nombre des fruits, racines et plantes consommées par les singes en venaient à se dégrader, abritant pour certains des vers parasites, des asticots et des larves, pour d’autres des bactéries, des champignons et j’en passe. Si bien que l’état de santé de ces primates laissait fortement à désirer au cours de ces longs mois trempés.
Mais revenons à nos deux singes haut perchés. Ce jour-là, selon le commentaire du narrateur, l’un de ces primates avait eu la chance de dénicher un fruit rare en cette saison,  semblait-il, un beau gros fruit pulpeux à souhait, d’une robe jaunâtre et ayant un peu l’aspect du melon, et il faisait bombance, sous le regard envieux de son congénère affamé. Et il n’était pas question de le partager, au dire toujours du commentateur. Telle était la règle implacable. Et l’affamé ne le savait que trop, car pas une seule fois devant la caméra il n’avait tenté le moindre geste en direction du précieux fruit, alors que tout dans son effacement résigné contre son pareil clamait de sa détresse. Le documentaire terminé, subsistait en moi un mélange indéfinissable de tristesse et d’incompréhension pour la cruauté des lois de la survie chez les animaux. Heureusement, me disais-je, Dieu a donné à l’homme la compassion en contrepartie, ce noble sentiment qui nous sensibilise aux maux de nos semblables et nous porte à les partager.
« Chacun est responsable de tous », écrivait Saint-Exupéry. Mais dans la réalité des faits, est-ce bien toujours le cas? Que comprenons-nous de cette responsabilité? Notre monde compte tant d’indigents, tant de misérables nécessiteux sans ressources qui manquent de l’essentiel et qui vivent en permanence sur un ventre affamé, que c’est à croire que chacun des nantis de notre société a un double de lui-même qui croupit à quelque part dans le plus grand dénuement. Quelle est notre réaction face à la misère de cet homme miséreux considéré en tant que créature d’un même Dieu? Quand ce frère dans le dénuement nous tend la main, nous criant sa détresse à travers son lourd silence résigné, « résigné comme un mouton que l’on mène à l’abattoir » (Sartre), faisons-nous la sourde oreille aux suppliques muettes de ce frère humain dans la détresse, ou si nous lui ouvrons notre cœur et les cordons de notre bourse? En un mot, sommes-nous pour lui un véritable frère en Jésus-Christ, ou si notre attitude ne relève pas plutôt de celle de ce primate « indifférent » qui faisait bombance sous le regard affamé de son congénère? « Vous êtes tous mes frères, […] catholiques, protestants, athées, car la parole de Dieu est pour tous. » (Sartre)
Jésus dit : le premier commandement c’est : […] « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme et de toute ta force. Voici le second : Tu aimeras ton prochain comme toi-même. De plus grand que ceux-là il n’est aucun autre commandement. (Marc Chap. 12. Vers. 29-31)


jeudi 9 juin 2011

Caïn et Abel



            Au début du mois d’avril 2011, les journaux du monde entier titraient : « L’ONU touchée en Afghanistan ». « Sept employés étrangers de l’ONU et cinq manifestants afghans ont été tués dans l’attaque des bureaux de l’ONU à Mazar-I-Sharif, la grande ville du nord de l’Afghanistan, par des protestataires déchaînés. »
Rappelons ici que cette manifestation avait été organisée en guise de protestation à l’autodafé d’un exemplaire du Coran par un pasteur intégriste américain. Le déplorable incident était survenu quelque 13 jours plus tôt dans la petite église du pasteur désormais tristement célèbre. L’indignation se poursuivant, au lendemain de la première tuerie, dix autres personnes étaient tuées et 83 blessées à Kandahar, lors d’une nouvelle manifestation sanglante pour protester contre le geste du ministre extrémiste américain. Et comme ce qui arrive deux fois a toute chance d’arriver une troisième fois, le surlendemain, deux autres personnes étaient encore tuées et 34 blessées dans trois villes de la province méridionale de Kandahar, au troisième jour de toute cette violence pour dénoncer la destruction par le feu d’un exemplaire du Coran aux États-unis.
Au total, vingt-quatre personnes devaient payer de leur vie pour l’inconscience de ce pasteur intégriste qui avait jugé avoir tous les droits, y compris celui d’offenser les musulmans de ce monde, au nom de la charte des droits et libertés que lui garantissait la Constitution américaine. Vingt-quatre personnes qui avaient femmes, maris, enfants, pères, mères, frères, sœurs, compagnons, compagnes, amis, etc.…
Sommé par les manifestants de poursuivre le pasteur qui avait brûlé l’exemplaire du Coran, le gouvernement américain se retrouvait dans un tel embarras que pas une seule fois dans ses échanges de communiqués avec la presse, le nom du ministre extrémiste n’était mentionné. Pourtant l’homme avait déjà attisé bien des passions à travers le monde, quelques semaines plus tôt, en menaçant de poser ce geste malheureux en public devant une foule de ses partisans, jugeant la doctrine islamique propagée par le Coran comme extrémiste et source de bon nombre des maux de l’humanité. Comme la menace de cet autodafé n’était pas à prendre à la légère avec le tollé qu’elle soulevait alors un peu partout, le gouvernement américain s’était senti dans l’obligation de prendre contact avec l’énergumène, afin de calmer ses ardeurs. Et la démarche avait porté ses fruits, semblait-il, l’homme ayant consenti à surseoir à son geste.
Alors que tout le monde pensait que les choses étaient rentrées dans l’ordre, quelques jours plus tard le pasteur mettait pourtant sa menace à exécution, en catimini cette fois-ci, devant ses ouailles réunies dans la petite église abritant son culte. Le hic, c’est que son geste malheureux était capté en images par un des assistants… et l’incident se retrouvait discrètement sur internet, avec les conséquences déplorables que l’on connaît maintenant. Peut-être croyait-on, naïvement, que les islamistes ne naviguent par sur la Toile…
Dans un communiqué émis suite à ces troubles sanglants, le « bon » pasteur Terry Jones, à l’origine de cette destruction par le feu du Coran, rejetait sur l’islam la responsabilité des violences en Afghanistan…
« Yahweh dit à Caïn : “ Où est Abel ton frère?” Il répondit : “Je ne sais pas. Suis-je le gardien de mon frère, moi?” Et Yahweh dit :“ Qu’as-tu fait? C’est la voix du sang de ton frère qui crie du sol vers moi!” (Genèse Chap. 4. Vers. 9-10)

mercredi 8 juin 2011

L'aveugle



Une place forte au désert était assiégée par une force ennemie depuis près d’une lune. Coupée de tout, ses forces vives s’amenuisaient de jour en jour. Les remparts tenaient bon, mais ses défenseurs, épuisés par les combats et le manque de nourriture, n’allaient plus pouvoir tenir longtemps. Il y avait bien un royaume ami au couchant, à quelques jours de marche de là, qui aurait été en mesure de venir en aide aux assiégés avec son armée, mais l’ennemi veillait à ce qu’aucun messager ne puisse franchir son blocus pour aller en prévenir son souverain. Si bien que les courriers rapides engagés dans cette dangereuse mission avaient tous été tués ou capturés, les uns après les autres.
Alors que les assiégés envisageaient maintenant de demander grâce à leurs ennemis, ô surprise, un aveugle se portait volontaire pour servir de messager. Du fait de son handicap visuel, il éveillerait moins les soupçons, à son dire.
― Mais mon pauvre ami, comment feras-tu pour t’orienter? objecta le commandant de la place. Tout seul au désert, et tu n’y vois pas à trois pas devant toi seulement!
― Cousez le message dans les plis de mes vêtements, une simple défroque, la plus misérable possible, ajoutez un bâton de pèlerin, une outre d’eau et de la nourriture pour une dizaine de jours, et déposez-moi discrètement, à la nuit tombée, à l’extérieur des remparts. Pour le reste, je m’en remets à la grâce de Dieu!
La nuit même, à la faveur des ténèbres, l’aveugle se retrouvait hors des murs de la place forte. Désormais, il était à la merci de ses ennemis. Mais au matin, un garde de faction au sommet des remparts venait rapporter à ses supérieurs qu’il avait vu au loin, au lever du jour, la silhouette d’un homme s’avançant seul au désert avec un bâton de pèlerin… en direction du Levant!
Quoi, il fait route vers le Levant? laissa échapper le commandant sur un ton de dépit, anéanti par cette nouvelle. Mais il n’y a rien au Levant! Le pauvre, il est déjà mort..! À croire que Dieu est aussi aveugle que lui!
Des propos que le chef militaire devait regretter amèrement cependant, car vingt jours plus tard, l’armée du souverain ami, accourue à la rescousse, levait le siège de sa place forte, mettant en déroute ses ennemis. Et le messager qui avait transmis la demande d’aide n’était rien de moins que l’aveugle qui cheminait au Levant!
― Comment as-tu pu réussir pareil exploit? s’enquit le commandant auprès de son singulier coursier. Tu ne marchais même pas dans la bonne direction, au départ…
― C’était exprès, pour ne pas éveiller les soupçons. Les gardes qui m’avaient arrêté au milieu de la nuit m’avaient d’abord pris pour un espion. Mais du fait que j’étais aveugle et en haillons, et que je leur avais dit que je venais du Midi et que j’allais en direction du Levant, on m’avait pris pour une espèce d’ermite vivant au désert. Et au matin, sans plus d’ennuis, ils m’avaient orienté en direction du Levant. Bien que je sois aveugle, je peux arriver à discerner une certaine lueur à travers mes yeux morts, quand je regarde le disque du soleil bien en face. J’ai marché en direction de cette lueur pendant trois heures environ. Puis, je me suis arrêté pour me reposer. Là, je me suis tourné en direction du Midi, attendant pour reprendre ma route que le soleil qui était alors sur ma gauche passe sur ma droite. En fin d’après-midi, alors qu’il avait amorcé sa course vers l’Orient, j’ai suivi la lueur de ce soleil qui descendait graduellement à l’horizon jusqu’à ce que la lumière de ce couchant rouge ne sois plus visible pour moi. Le lendemain, je n’ai pas bougé de là jusqu’en milieu d’après-midi, attendant que la chaleur du soleil qui était dans mon dos au lever se fasse sentir sur mon visage, bien en face de moi. J’ai alors repris ma route en direction du couchant, jusqu’à la nuit tombée. Et ainsi de suite pendant huit jours. En après-midi de cette dernière journée, une caravane en route pour le royaume ami m’a recueilli. J’étais à moins de cinq heures de marche de mon objectif, m’a-t-on dit. Voilà mon histoire : j’ai marché dans la lumière!