Pour laisser un commentaire,

Pour laisser un commentaire, créer un account google à l'adresse www.google.com/accounts/, une fois l'account complètement créé, connectez-vous sur votre account nouvellement créé. Par la suite, aller sur le site http://les-yeux-du-coeur.blogspot.com/ et cliquer sur connection en haut à droite de la page.



samedi 20 août 2011

Les quatre cavaliers de l’Apocalypse




Des cavaliers approchaient au grand galop, cela l’homme en avait la certitude. Même s’il ne pouvait pas les voir encore, en raison des exhalaison sulfureuses qui s’élevaient dans la demi ténèbre d’un ciel bas et lourd aux reflets rougeoyants rappelant l’enfer lui-même, il pouvait entendre le battement saccadé des sabots de leurs montures. Et soudain, ils étaient là, comme surgis de nulle part au milieu des traînées de vapeurs de souffre qui emplissaient l’air, lançant vers le ciel d’affreux hurlements. Paralysé de terreur, incapable d’un geste pour déguerpir de là, l’homme les regardait arriver dans leur chevauchée fantastique, pareils à un vol d’esprits errants s’abattant sur terre avec fracas.
Le premier spectre était un cheval pâle monté par un cavalier dont les vêtements blancs se confondaient d’une façon quasi parfaite avec le pelage de sa monture. Projetant l’image du guerrier triomphant, il brandissait arc et carquois avec ostentation et arborait une couronne hérissée de vipères prêtes à mordre dressées sur leur queue. À l’évidence ce cavalier fonçait droit devant lui dans un seul but, celui de la victoire, et sa couronne n’en était pas une de royauté, mais de conquérant victorieux, paraissant l’incarnation même du fléau de la guerre maquillé sous des airs de vertu.
Le second cavalier, casqué et bardé de fer, chevauchait un étalon rouge feu et il agitait de façon menaçante une grande épée dans un fracas de tonnerre, comme s’il avait pour mission infernale de bannir la paix hors de la terre et de faire qu’on s’entr’égorgeât.
La troisième apparition effrayante était celle d’un cheval noir monté par un homme funèbre dont le drapé sombre de son ample manteau le faisait pratiquement se mélanger lui aussi à la robe de sa monture. Disparaissant presque dans les plis de son vêtement tant il était d’une maigreur effroyable, l’horrible épouvantail tenait une balance, comme pour rappeler l’injustice qui est faite aux pauvres de ce monde. Un monde dans lequel la norme en vigueur depuis toujours est de deux poids deux mesures : l’abondance pour les uns, la disette pour les autres, et même la famine.
Le quatrième spectre, drapé d’un débris de vêtement à larges manches flottantes qui ne cachait rien de son corps et de ses bras squelettiques, chevauchait un cheval d’aspect verdâtre qui s’appariait en tout point avec son affreuse tête de mort ceinte de lauriers. Brandissant la faux de la Mort, l’Hadès le suivait, et il semblait résumer en lui les désordres de ses trois autres funestes compagnons, comme s’il avait le pouvoir en ce monde d’exterminer par l’épée, par la faim, la peste et les menées guerrières des fauves de cette terre.
Arrivée à la hauteur de l’homme, les sinistres cavaliers de cette cavalcade de l’enfer avaient poussé un dernier cri horrible, puis s’étaient scindés en quatre, chacun d’entre eux poursuivant sa route dans une direction couvrant les quatre points cardinaux. C’était à ce moment précis que l’individu s’était réveillé en sursaut, si terrorisé par l’affreux cauchemar qu’il venait de vivre ainsi au beau milieu de la nuit, qu’il avait été incapable par la suite de retrouver le sommeil.
Comme il vivait seul, ce n’était qu’au matin, en faisant un crochet par la cafétéria de l’établissement où il travaillait, histoire d’y ingurgiter en vitesse son premier café du jour, que notre homme avait pu raconter les péripéties de son mauvais rêve à une compagne de travail reconnue pour la diversité de sa culture. Selon cette femme, les quatre cavaliers de cette chevauchée fantastique préfiguraient l’Apocalypse de l’apôtre Jean l’Évangéliste, le dernier livre de la Bible. Mais ce n’était pas une interprétation facile, à ses dires.
Le premier cavalier était l’imposteur, vêtu de blanc à dessein et chevauchant un cheval de couleur identique pour mieux tromper les hommes de cette terre quant à la pureté de ses intentions. L’arc qu’il brandissait était une arme de combat qui pouvait symboliser le désir de la victoire, la guerre d’hégémonie, le pouvoir, l’autorité, la domination souveraine. Sa couronne était celle des rois, des hauts personnages de ce monde, des grands conquérants de l’Histoire, des politiciens tout-puissants, premiers responsables du fléau de la guerre et de son cortège effroyable de malheurs. Certains auteurs de commentaire voyaient même dans ce cavalier couronné, la Bête, l’Antéchrist, cet ennemi implacable du Christ qui viendra répandre l’erreur sur terre et conduire les chrétiens à faire acte d’apostasie, un peu avant la fin du monde.
Pour d’autres, ce cavalier représentait l’homme impie, conquérant implacable de ce monde dans tous les champs de l’activité humaine, fort de la toute-puissance de son haut savoir, de ses réalisations et de sa domination incontestée sur les êtres et les éléments de cette terre. Dans nombre de domaines, cet homme irréligieux avait déjà la prétention d’occuper la chaire de Dieu et même de se substituer à Lui. Ce qui faisait dire encore à certains autres commentateurs que l’Antéchrist et son appareil de tromperies était déjà parmi nous, abusant, dupant, leurrant, mystifiant, et que les tremblements de terre, les guerres, les famines, les faux prophètes et les persécutions sans nombre qui déferlaient sur l’humanité, n’étaient que la manifestation de son implacable action de sape parmi les hommes, l’annonce que la fin était déjà en marche et qu’elle apporterait avec elle la terreur au monde.
Le deuxième, le troisième et le quatrième cavalier qui travaillaient à l’unisson avec le premier n’étaient pour ainsi dire que l’illustration du cortège de fléaux que l’homme dénué de morale et fort de la toute-puissance de son bras armé propageait dans son sillage de mort.
Pour le moins incrédule, le seul commentaire que notre rêveur avait trouvé à formuler, en réponse aux généreuses explications de sa collègue de travail, avait été cette réflexion bête: « Heureusement que tout ça, c’est juste des visions! Tu parles d’un rêve de fou! »
Ce jour même, les journaux titraient que 12,4 millions de personnes dans la Corne de l’Afrique étaient touchées par la pire sécheresse des dernières décennies, et que des dizaines de milliers d’entre elles avaient déjà péri. Et pendant ce temps, notre monde connaissait lui aussi la sécheresse au plan économique, risquant même d’entrer dans une nouvelle période de récession.
Ce même jour encore, les journaux publiaient que parallèlement à cette famine, une épidémie de choléra se répandait de façon alarmante sur toute cette région de l’Afrique, dû en grande partie aux mouvements de population à la recherche de nourriture, d’eau et de secours, ce alors que le Sida, en constante progression, menaçait déjà de son côté de décimer nombre de pays du continent africain.
Toujours ce même jour, les journaux écrivaient que la rébellion armée et les affrontements meurtriers s’intensifiaient un peu partout au Moyen-Orient et en Afghanistan, entraînant toujours plus de chaos et d’insécurité au sein de leurs populations, et contribuant toujours plus à insécuriser notre monde déjà passablement secoué par les nombreuses menaces environnementales découlant d’un climat déréglé.
Ce jour même une fois de plus, les journaux titraient que le réchauffement planétaire et ses conséquences dramatiques au plan alimentaire risquait de provoquer la migration de dizaines de millions de personnes d’ici la fin du siècle, augmentant d’autant les risques de conflits armés pour la possession de terres arables. Dans le même ordre d’idées, la hausse du niveau des océans occasionnée par la fonte des glaces submergerait dans un proche avenir des centaines de milliers de kilomètres de terres côtières, forçant un nombre grandissant de populations à la relocalisation.
Ce même jour enfin, les journaux donnaient à entendre que l’homme, suite aux progrès de la science dans ses recherches toujours plus poussées pour comprendre le complexe processus du vieillissement humain et en contrer ses effets, pouvait entrevoir une forme d’immortalité avant la fin du millénaire en cours.
Mais de tous ces faits troublants, notre rêveur indolent ne saurait rien. Suivant son habitude, lors de sa pause lunch du midi, il jetait bien un coup d’œil sur le journal du jour. Mais son intérêt pour les événements marquants de ce monde ne dépassait pas celui de la rubrique des chiens écrasés et des nouvelles du sport!

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire