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samedi 31 décembre 2011

La naissance du Christ : les Mages


Voyageurs venant de l’Orient et conduits par l’« étoile » auprès du Christ à Bethléem, tel que nous le raconte l’évangéliste Matthieu, la visite de ces Mages astrologues à l’Enfant-Jésus en qui ils reconnaissaient le futur Souverain d’Israël, dut pour le moins étonner son humble famille. Mais qui étaient donc ces mystérieux visiteurs, et de quelles terres lointaines venaient-ils donc ?
D’abord c’est à Matthieu que l’on doit cette appellation de « mages » pour désigner ces visiteurs venus de l’Orient. Mot que l’on pourrait traduire par « hommes sages ». Selon certaines sources, ces Mages étaient experts en astrologie et en magie. Semble-t-il qu’ils se considéraient comme disciples de Zoroastre, connu encore sous le nom de Zarathoustra, prophète et réformateur religieux iranien qui vécut au VI è siècle avant J.-C. et qui croyait en un dieu unique. Le zoroastrisme, sans entrer dans les détails, se caractérise par une haute conscience du bien et du mal avec, entre autres, la notion du choix moral.
Qu’il nous suffise encore de savoir, qu’à l’époque des Mages, les adeptes de Zoroastre étaient devenus dualistes, professant une croyance à un dieu de la Bonté et à un dieu du Mal, et que leur culte comprenait aussi de l’astrologie. Les Mages, en tant que prêtres héréditaires de ce culte à Zarathoustra, s’attachaient particulièrement à scruter la voûte céleste, en quête de phénomènes astronomiques sortant de l’habituel. Dans la culture de l’époque, l’astrologie était tenue pour une science de première importance. Du simple mortel aux empereurs romains, en passant par les philosophes, les hommes de science et ces Mages astrologues venus d’Orient, tous lui accordaient créance, comme en témoigne la somme d’observations astronomiques accumulées au fil des générations. Rien de surprenant alors que la conjonction de Saturne et Jupiter en l’an 7 av. J.-C. (les deux planètes se rapprochèrent à trois reprises), soit apparue aux yeux de ces Mages comme le signe précurseur d’une nouvelle de très grande importance.
Que sait-on du voyage de ces intrépides voyageurs vers le Royaume de Juda du roi Hérode le Grand, à vrai dire, rien. Certains ont prétendu qu’ils étaient quatre, six et même douze à avoir fait le voyage jusqu’à Bethléem. Les noms qu’on leur a assignés au Moyen Âge, Gaspard, Melchior et Balthazar, sont d’une authenticité douteuse. Et il en est de même pour ce titre de « rois » servant souvent à les désigner. Il n’y a pas de fondement à une telle appellation. D’où venaient-ils exactement, encore une fois on est dans l’expectative. Les trois endroits les plus vraisemblables sont la Perse, Babylone et les régions désertiques à l’est de la Palestine, à savoir les déserts d’Arabie, ou même les territoires autrefois sous l’emprise de la reine de Saba.
Si l’imagerie populaire représente souvent ces Mages agenouillés en adoration devant l’Enfant-Jésus avec leurs dromadaires debout à leur côté, c’est que le chameau était évidemment le meilleur moyen de transport pour la traversée des déserts. Comme on peut supposer, sans guère de risque de se tromper, que ces Mages étaient des personnages importants dans leur pays d’origine, ils devaient certainement voyager avec serviteurs et garde personnelle. Si bien qu’il est possible qu’ils aient été suffisamment nombreux pour former leur propre caravane. Dans le cas contraire, nul doute qu’ils durent se joindre à quelque important groupe de marchands et voyageurs pour franchir ces contrées désertiques peu sûres, lesquels voyageurs pouvaient parfois se regrouper en caravane de plus de deux cents chameaux d’Arabie,  afin de se protéger contre les brigands qui s’attaquaient aux petits groupes de voyageurs isolés.
Essayons d’imaginer maintenant, le temps de quelques secondes, l’arrivée à Jérusalem de ces voyageurs du désert richement parés et débarquant dans la Ville Sainte avec leurs grands dromadaires d’Arabie harnachés de provisions et de tout le nécessaire pour voyager longtemps, avec escorte de valets, serviteurs et gardes armés leur ouvrant la marche, l’équipage, comme toujours, servant mieux que tous les mots à témoigner du luxe et de la condition. Entourés très vite, on le devine bien, d’une foule de petits besogneux mercantiles leur proposant la panoplie des services usuels aux voyageurs arrivant de loin, on peut deviner sans peine la surprise de ce petit peuple, quand l’un de ces nouveaux arrivants lançait à la ronde, tel que nous le raconte Matthieu dans son « adoration des mages » : « Où est le roi des Juifs nouveau-né ? Car nous avons vu son astre en Orient et nous sommes venus l’adorer. »
Cette nouvelle, on le sait, avait échappé jusqu’alors aux autorités juives. Aussi, en un rien de temps elle semait l’inquiétude au sein du peuple, particulièrement dans les hautes couches du pouvoir. Le roi Hérode le Grand étant traditionnellement entouré d’espions, on peut imaginer avec quelle célérité il dut être informé de cette nouvelle, ainsi que de l’arrivée de ce singulier équipage venu d’Orient. Devenu roi du royaume de Juda par suite de manœuvres politiques, le vieux roi défendait sa couronne avec acharnement. Bien que le Sanhédrin formait le Conseil suprême du peuple juif, Hérode lui demandait rarement son avis sur les questions importantes, ayant formé son propre cercle de notables chargés de remplir à la fois les fonctions de conseillers et précepteurs au sein de la famille royale.
Mais, cette fois-ci, cette nouvelle affolante de la naissance d’un « roi des Juifs » susceptible de lui faire perdre son trône devait amener le roi à changer ses habitudes. Aussi se renseignait-il, auprès de l’élite dirigeante des scribes les plus importants de Jérusalem, sur le lieu où devait naître ce souverain d’Israël. Apprenant de la bouche de ces chefs religieux que la prophétie attestait que c’était à Bethléem que naîtrait « un chef qui conduira mon peuple, Israël », la nouvelle déplut fortement à Hérode. Il était né dans la province d’Idumée, au sud de la Judée, et la conversion de ses ancêtres au judaïsme leur avait été imposée. Et comme la prophétie précisait encore que ce « chef » serait issu de la descendance de David, le roi ne pouvait guère prétendre que la prophétie validait sa propre dynastie.
La suite de l’histoire appartient à la Bible. Celle-ci nous dit que le roi convoqua en grand secret les Mages afin de les questionner au sujet de la naissance de ce nouveau prétendant à son trône. Ceux-ci lui racontèrent que c’était cette extraordinaire « étoile » apparue à l’Orient qu’il leur avait donné à penser qu’un événement majeur venait de se produire dans cette partie du monde. Ils s’étaient mis en route et avaient suivi l’astre jusqu’à ce qu’ils atteignent Jérusalem.
Hérode, nous raconte toujours Mathieu, envoya les Mages à Bethléem, leur disant : «Allez, enquérez-vous exactement de l’enfant, et quand vous l’aurez trouvé, faites- le- moi savoir afin que moi aussi, j’aille lui rendre hommage.»
Matthieu ne dit rien sur la façon dont les Mages apprirent le lieu de résidence de Jésus à Bethléem. Il lui suffit qu’ils aient trouvé ses parents, Jésus et Marie. Ils se prosternèrent devant l’enfant et lui offrirent des cadeaux symboliques qui durent pour le moins étonner cette humble famille. Le triple don que les « mages » offrirent à Jésus porte à croire que c’était trois sages, car une tradition de longue date a vu dans les trois présents offerts au Christ une signification mystique : L’or, en témoignage de sa royauté. L’encens, en gage de sa divinité. La myrrhe odoriférante, en signe de la mortalité de l’homme.
Toujours est-il qu’à la fin, avertis en songe de ne point retourner auprès d’Hérode, les Mages regagnèrent leur pays par un autre chemin, sans lui révéler qui était le nouveau-né maintenant âgé de deux ans, et sans qu’il sache non plus où il se trouvait dans la ville de Bethléem. Et Matthieu d’ajouter : « Alors Hérode, voyant qu’il avait été joué, entra dans une violente colère… » Rendu à moitié fou par les souffrances causées par une pénible maladie, Hérode ne se contrôlait plus dans sa rage… Mais cela, c’est une autre histoire !

samedi 24 décembre 2011

La naissance du Christ : les bergers




         L’histoire du voyage à Bethléem de Joseph et de Marie est l’une de celles auxquelles le monde chrétien est le plus attaché. Comment ne pas se sentir ému par cette jeune femme enceinte, à quelques jours d’accoucher, mais choisissant quand même d’affronter les difficultés d’une longue marche de cinq jours, afin de se conformer à un édit de l’empereur romain Auguste César ordonnant à tous les habitants de Palestine de se faire recenser là où ils étaient nés.
            Le hic, c’est que les historiens ne connaissent qu’un seul recensement : en 6 apr. J.-C., alors que le consul romain Quirinius était gouverneur de Syrie. Le problème avec cette date, c’est que le roi Hérode était déjà mort depuis dix ans. Or, c’est pendant le règne de ce même Hérode le Grand que les évangélistes Luc et Matthieu placent la naissance de Jésus. S’agit-il d’une inexactitude dans le récit de Luc, ou bien s’il est possible que ce recensement ait pu parfaitement avoir lieu, mais jugé trop peu important aux yeux des historiens de l’immense Empire romain pour avoir été répertorié ?
La Palestine, hormis le fait d’être considérée comme le territoire le plus agité des trente provinces que comptait alors l’Empire, était bien peu de choses avec ses quelque 20 000 kilomètres carrés, au regard des cinq millions d’autres kilomètres que comptait l’ensemble de l’Empire. On était bien loin du centre du pouvoir. Et c’était une région particulièrement cosmopolite qui subissait de nombreuses influences étrangères du fait, entre autres, que Jérusalem était au cœur de la diaspora juive, et qu’on y affluait à chaque année par centaines de milliers des régions même les plus éloignées de l’Empire afin de participer aux trois grandes fêtes religieuses annuelles, tel qu’il était prescrit par Moïse aux enfants d’Israël. Du fait que ces recensements avaient pour fin utile de toujours faire rentrer plus d’argent dans les coffres de l’État, il n’est sans doute pas impossible que les gouverneurs de la Palestine eussent reçu pour consigne de César de recenser la population du pays plus souvent, en raison de la grande mobilité de ses populaces et de leur diversité.  
Quoi qu’il en soit, ce manque de rigueur est admissible, vu les circonstances dans lesquelles le Nouveau Testament a été écrit. L’exactitude historique était chose inconnue à cette époque. Pour les disciples de Jésus qui s’attachaient principalement à garder en mémoire le souvenir de son enseignement, seul comptait vraiment le message spirituel qu’il était venu livrer au monde.
Ceci dit, voyons maintenant ce que raconte Luc au sujet de la naissance de Jésus. L’évangéliste commence son récit par le recensement et le voyage de Nazareth à Bethléem. La route de Nazareth à Bethléem, route qui traversait entre autres Jérusalem, était généralement encombrée d’un fort trafic de caravanes, de marchands, de soldats en déplacement et de Juifs religieux se rendant au Temple. Selon la tradition, Marie entreprit ce voyage à dos d’âne, avec son mari Joseph marchant à ses côtés, sans doute de jour, en dépit du soleil torride, en raison des actes de brigandage qui posaient une menace permanente pour la police romaine, sur cette grande route reliant Jérusalem à l’Égypte.
Où nos deux voyageurs se reposaient-ils la nuit, on n’en sait rien, sinon que connaissant l’hospitalité traditionnelle des nomades, on peut supposer qu’ils trouvaient refuge au sein de l’un de leur campements. Nombre de bergers semi-nomades faisaient paître des troupeaux en bordure de cet axe qui s’étendait de la Galilée au Sinaï.
Au terme du cinquième jour de marche, Joseph et Marie sont en vue de Bethléem, ville natale des ancêtres de Joseph. À quoi ressemble donc cette petite Bethléem, appelée aussi Ephrata, du fait de la fertilité exceptionnelle de la région ? Elle est sise au sud de Jérusalem, à quelque huit kilomètres de ses murs, sur une arête basse mais abrupte, au milieu de collines rocailleuses entourées de prés verdoyants et de riches oliveraies. Mais à l’est, tout près, s’étend une région rude et sauvage descendant vers la mer Morte.
En raison de l’isolement des lieux, un caravansérail remontant à des temps immémoriaux et ressemblant à tous ceux qui bordaient les grands axes commerciaux de l’époque se dressait aux abords de cette route d’importance conduisant à l’Égypte, afin d’y prodiguer les services d’hôtellerie aux voyageurs fatigués. En plus de l’hébergement, ce caravansérail offrait une protection contre les brigands, du fait de son enceinte construite en pierre. Après une longue journée passée dans la chaleur et la poussière, les voyageurs pouvaient s’y désaltérer et donner à boire à leurs bêtes dans la grande cour centrale de l’auberge. Lieu d’accueil traditionnel, cette vaste cour entourée des bâtiments qui en dépendaient attirait marchands, pèlerins et voyageurs de toute espèce.
Luc nous dit, sans plus de commentaires, que pendant que Joseph et Marie étaient là, arriva le terme où la mère du Sauveur devait enfanter, et qu’il n’y avait pas de place à l’auberge. La vérité sur ce manque d’hospitalité restera à jamais inconnue, Luc n’en donnant pas les raisons. Mais peut-être, comme le pensent certains, que Joseph préférait tout simplement trouver refuge en milieu rural, afin d’épargner à sa femme en couches le désagrément d’une nuit passée dans la promiscuité bruyante des chameliers, des muletiers et de leurs nombreuses bêtes entravées.
Joseph et Marie finissent donc par trouver un endroit où se loger. On ne sait pas exactement à quel endroit, si ce n’est que c’est à Bethléem, ou à proximité. Était-ce une étable, une grotte ? Luc n’en précise rien. La seule indication qu’il nous donne, c’est qu’il y avait là une mangeoire pour les animaux domestiques : « Elle mit au monde son fils premier-né, qu’elle enserra de langes et coucha dans une crèche… »
Au cours des siècles s’est établie une tradition selon laquelle Jésus serait né dans une étable. Mais ce qu’il faut savoir, c’est que les grottes habitables sont assez répandues dans les collines de la région. Et l’on sait encore qu’à l’époque, les bergers utilisaient ces abris naturels pour protéger leurs troupeaux de la pluie, du froid, ainsi que des prédateurs, du fait que les collines autour de Bethléem abritaient des ours, des léopards, des chacals et même parfois des hyènes. Pour faciliter l’alimentation de leurs bêtes, les bergers taillaient à même la roche calcaire une crèche, une mangeoire pour les bestiaux, dont certaines  existent toujours dans les collines de Bethléem.
Conclusion, à une époque où hommes et bétail vivaient pour ainsi dire ensemble- les maisons comprenaient généralement une partie surélevée d’environ cinquante centimètres pour le logement de la famille et une partie basse pour les animaux-, il n’y a donc rien d’extraordinaire à ce que des gens simples comme l’étaient Marie et Joseph eussent choisi de s’abriter dans une grotte généralement réservée aux troupeaux des bergers de la région. Marie bénéficia-t-elle par ailleurs de l’aide d’une sage-femme expérimentée pour l’aider lors de l’accouchement, comme le veut une tradition établie plus tard, Luc n’en dit rien.
Ce que l’on sait, en revanche, c’est qu’alors que Jésus dormait tout emmailloté de bandes de toile dans sa mangeoire sans doute garnie de paille, non loin de là, des bergers passaient la nuit dans les champs avec leurs troupeaux. La vie d’un berger n’était guère enviable, à vrai dire. Vivant perpétuellement au grand air et exposé de ce fait aux intempéries, au mauvais temps et aux rigueurs du climat, sans compter les fauves et les voleurs, cet homme valeureux risquait sa vie pour protéger son troupeau.
De nos jours encore, les bergers des collines de Judée utilisent un langage bien à eux pour se faire comprendre de leurs troupeaux. Un langage étrange auquel obéissent leurs bêtes. Et ce rapport de confiance entre le berger et ses moutons n’a pas changé au cours des siècles. Il reste toujours aussi particulier. Si bien que le pasteur connaît l’ensemble de ses brebis par leur nom. De même, celles-ci reconnaissent entre toutes la voix de leur maître.
Jésus va prendre pour modèle ces modestes bergers au cours de son ministère. « Je suis  le  bon berger, dira-t-il. De même que le Père me connaît et que je connais le Père, de même je connais mes brebis, et mes brebis me connaissent. Et je donne ma vie pour mes brebis. » Ces valeureux gardiens de troupeaux sont aux champs avec leurs moutons, la nuit de la Nativité, nous raconte Luc. Un ange du Seigneur apparaît devant un groupe d’entre eux, les entourant d’une clarté intense. « N’ayez pas peur, leur dit le visiteur céleste. Cette nuit il est vous est né un Sauveur, qui est le Christ Seigneur, dans la ville de David. » À souligner ici que « Christ » est la traduction du mot hébreu mashiah, mot désignant le « roi qui doit venir ». Et l’ange de préciser aux bergers qu’ils doivent « chercher un bébé enveloppé de langes et couché dans une crèche ». Ce sera le signe de reconnaissance. Au même moment se fait entendre un chant céleste « louant la gloire de Dieu dans les cieux très hauts, et accordant sa paix sur terre aux hommes de bonne volonté. »
Aussitôt le messager céleste disparu, les bergers se mettent en frais de découvrir au plus vite ce mystérieux nouveau-né que l’ange leur a annoncé comme étant le Sauveur promis au monde. À la vue de Marie, de Joseph et du nouveau-né dans la crèche, l’étonnement des bergers ne fait qu’augmenter : ils n’ont pas été l’objet d’une hallucination. Et après s’être prosterné humblement devant l’enfant, ils se hâtent de répandre la prodigieuse nouvelle dans la campagne environnante, provoquant partout l’émerveillement de leurs auditeurs.
Mais cet événement sans précédent devait passer inaperçu dans le royaume de Juda, et cela même si de nombreux Juifs opprimés attendaient depuis toujours la venue de ce Rédempteur avec ferveur. De fait, il n’y eut que peu de gens à être mis au fait de cette prodigieuse nouvelle qui avait circulé principalement en milieu pastoral. Et pour cause : comment la parole de quelques malheureux gardiens de troupeaux de cette petite Bethléem de Juda aurait-elle pu avoir quelque crédibilité auprès de la prétentieuse caste religieuse  de Jérusalem ? Le prophète Michée avait bien prédit que le Messie viendrait de Bethléem, mais qui s’en formalisait au sein du peuple? Et même si cela n’avait pas été le cas, qui aurait accordé foi à pareille annonce de la naissance d’un Roi des rois reposant dans la mangeoire d’une grotte servant de refuge à des troupeaux d’ovins ?
Le prophète Ésaïe, en son temps, n’avait-il pas livré aux siens une vision bien différente de l’apparition de ce souverain Monarque, marquant par son arrivée la fin de la longue attente messianique? «  Voici en effet le Seigneur : il arrive dans un feu, ses chars sont comme l’ouragan. Rempli d’indignation, il vient exercer sa colère et réaliser sa menace dans un bouquet de flammes ! »
En définitive, il y eut si peu de gens à être mis au fait de cette nouvelle et lui accorder quelque créance, qu’elle échappa totalement aux autorités juives. Il faudra attendre l’arrivée des mages, quelque deux ans plus tard, pour que cette annonce de la naissance du Souverain d’Israël provoque des remous dans les hautes sphères du pouvoir religieux et politique. Mais non pas pour se réjouir de cette nouvelle, mais bien plutôt pour s’en inquiéter !

mercredi 21 décembre 2011

L’étoile de l’Orient





         « Jésus étant né à Bethléem de Judée au temps du roi Hérode, voici que des mages venus d’Orient arrivèrent à Jérusalem, disant : Où est le roi des Juifs nouveau-né ? Car nous avons vu son astre en Orient et nous sommes venus l’adorer. » C’est en ces termes que l’évangéliste Matthieu nous parle de l’adoration des mages. Plus loin, il raconte encore: […] « ils se mirent en route. Et voici que l’astre qu’ils avaient vu en Orient marchait devant eux, jusqu’à ce qu’il vint s’arrêter au-dessus de l’endroit où était le petit enfant. À la vue de l’astre, ils éprouvèrent une grande joie. »
            Le moins que l’on puisse dire, c’est que cette description de Matthieu de l’« étoile » de Bethléem nous laisse quelque peu perplexe. D’abord, il la perçoit comme un phénomène miraculeux. Les Mages l’auraient suivie, tel un guide céleste, jusqu’à ce que cette « étoile » s’arrête au-dessus de l’endroit où résidait Jésus.
             Là où ça se complique, c’est qu’à l’époque où serait né Jésus, les recherches historiques effectuées pour retrouver trace de l’éventuel phénomène astronomique susceptible d’être identifié à cette mystérieuse « étoile » de l’Orient, n’ont rien révélé qui puissent lui correspondre. Si traditionnellement certains ont associé la comète de Halley à l’« étoile » de Bethléem, l’une des comètes dont l’apparition dans les parages de la Terre est la plus régulière, eh bien ils ont dû déchanter, car c’est en 12 av. J.-C. que son passage fut recensé par les astronomes. Déception d’autant plus grande que cette comète est devenue, au fil des siècles, le symbole traditionnel de la naissance du Christ dans les diverses représentations de la Nativité. Une autre comète alors ? Nouvelle  désillusion, car les astronomes sont formels : aucune grande comète, susceptible d’attirer l’attention, n’a fait son apparition dans le ciel au moment de la naissance du Sauveur. C’est d’autant plus affligeant que l’Histoire est jalonnée de passages de comètes. Et elles apparaissent à des intervalles si espacés- bien que réguliers-, que l’imagination des hommes a toujours voulu voir dans leur apparition des manifestations de phénomènes majeurs, voire des indices avant-coureurs de cataclysmes.
            Et si on étendait nos recherches aux novæ et supernovæ, ces étoiles dont la brillance augmente sensiblement au moment de leur explosion ? Ces phénomènes inhabituels, visibles la nuit, laissent habituellement des traces dans les chroniques des astronomes, sinon des astrologues. Or, rien de tel ne figure dans les annales de Rome pour la période correspondant à la naissance du Christ, ce alors que les travaux des astrologues romains démontrent qu’ils scrutaient le ciel avec attention à l’époque.
             Abordons le problème autrement alors : si c’était la date de la Nativité qui faisait défaut ? On le sait tous, la chronologie historique ayant servi de base au moine Denys le Petit au VI ème siècle pour créer sans trop le vouloir notre ère actuelle connue sous différentes appellations, dont celle d’« ère chrétienne », est erronée. Pour fixer le point de départ d’une nouvelle ère, on utilise souvent la référence à une ère déjà existante. Denys le Petit choisit une ère connue sous le nom de Ab Urbe Conditia (AUC) qui correspondait à la date de la supposée fondation de Rome calculée par l’historien Varron. L’an 1 de cette nouvelle ère chrétienne correspondait à l’an 753 de Rome. Pourquoi 753, parce que, selon  Denys le Petit, cette année s’accordait avec celle de l’incarnation de Jésus-Christ. Si certains ouvrages tentent bien de nous expliquer comment le moine parvint à trouver cette date, la vérité c’est qu’on n’en sait strictement rien.
            Une autre vérité, c’est qu’on ignore la date précise de la naissance de Jésus. Ce que l’on sait en revanche, c’est que ce n’est pas en 753 AUC. Les érudits s’accordent pour affirmer que d’après les textes et autres événements étant survenus à cette époque  (éclipses, étoile des mages…) le Christ serait né quelques années plus tôt, de quatre à six ans en fait avant celle que Denys le Petit avait arrêtée comme date de sa naissance. Ainsi, selon Matthieu, Jésus est né sous le règne du roi Hérode le Grand. Mais Hérode est mort en l’an 4 av. J.-C. La plupart des chronologistes ont donc opté pour l’an 6, ou même 7 av. J.-C., pour arrêter le moment de la Nativité. En résumé, le début de notre ère ne correspond strictement à rien, puisque le moine le Petit se trompa sur la date de la naissance du Christ, et que cette erreur persiste dans notre calendrier actuel.
            Mais si on accepte cette idée défendue par plusieurs érudits que Jésus serait né en l’an 7 avant notre ère, un événement d’une grande signification pour les astrologues se produisit cette année-là : la conjonction des planètes Jupiter et Saturne. On a calculé, en effet, que les deux planètes se sont rapprochées par trois fois en cet an 7 av. J.-C., et de façon très significative. Ce phénomène qui a été observé à plusieurs reprises depuis n’est pas une fusion de deux étoiles, mais leur rapprochement facilement reconnaissable.
            Matthieu n’étant pas un féru d’astronomie, on peut imaginer qu’il employa le terme « étoile » à tort, du fait de son ignorance. Quoi qu’il en soit, les Mages qui étaient experts en astrologie et en magie, et qui scrutaient régulièrement les cieux à la recherche de messages importants, en étaient certainement venus à la conclusion, suite à leur observation de ce phénomène rare et surprenant, qu’il était le signe précurseur d’une nouvelle de très grande importance.
            L’évangéliste Mathieu nous donne à penser, dans son texte sur « l’adoration des mages », que Jésus a pu passer les deux premières années de sa vie à Bethléem. Ce n’est en effet que plusieurs mois après la naissance du Sauveur que les mages astrologues se présentèrent à son chevet pour l’adorer, la Sainte Famille demeurant alors dans une maison du village, à quelque cinq milles au sud de Jérusalem. « Où est le roi des Juifs nouveau-né s’enquirent d’abord les lointains voyageurs à leur arrivée dans Jérusalem, deux ans après l’apparition de l’«étoile »? On peut imaginer sans peine la stupéfaction que la nouvelle de cette naissance royale cachée devait provoquer au sein de la population de la Ville Sainte.
             Mais si cette information était perçue avec inquiétude par beaucoup de notables de Jérusalem, leur appréhension n’était rien à côté de l’alarme qu’elle avait suscité chez Hérode le Grand, roi des Juifs de par le bon vouloir de Rome. Le tyran avait toujours défendu son royaume avec acharnement, son pouvoir reposant sur une délicate diplomatie, dans une complète soumission au trône impérial romain. Et ce n’était pas cette fois encore que le vieux monarque allait s’en laisser imposer par ce nouveau prétendant à sa couronne. Comme il avait toujours fait à venir jusque là, Hérode allait avoir recours à l’intrigue et à la violence pour protéger son trône. Personne n’allait lui ravir son royaume de son vivant.
            L’« étoile » de l’Orient qui était apparue à l’est et qu’avait suivie fidèlement les mages astrologues depuis leurs lointaines contrées des territoires du désert ne venait pas seulement annoncer au monde la naissance du Roi des rois, mais également ses souffrances à venir. Le Rédempteur du genre humain avait à peine deux ans que déjà sa vie s’apprêtait à basculer en pleine tourmente. Mais cela, c’est une autre histoire ! 
                 

samedi 17 décembre 2011

Si Dieu m’était révélé




Assis à la table de leur chalet de montagne, le grand-père et son petit-fils savouraient un bol de soupe fumante à l’oignon dans lequel trempait un gros morceau d’emmental. Peu habitué à ce genre de repas, le garçon s’appliquait à reproduire les gestes simples de son aïeul. À son exemple, il avait coupé son pain avec un couteau suisse à même une grosse miche bien ronde achetée au matin chez un boulanger d’un village croisé en cours de route. Et comme son grand-père, le petit-fils avait par la suite rompu ce pain en fragments avec ses doigts pour en garnir généreusement son bol de soupe, avant d’y ajouter le fromage. Et comme son parent encore, il avait tourné quelques tours du moulin à poivre au-dessus de l’invitant potage qui répandait dans la pièce un fumet agréable et pénétrant.
De longs silences se creusaient par moments entre les deux hommes, alors qu’ils dégustaient avec lenteur le mélange fumant dont le fromage fondant coulait en longs fils qui se prenaient parfois aux moustaches du vieil homme. Il faisait si bon de se trouver là en pleine montagne, loin de toute civilisation, avec cette douce chaleur du feu de l’âtre qui invitait à la relâche, que chacun des deux hommes s’était servi une seconde assiettée du chaleureux potage, comme pour en prolonger l’instant  magique.   
À la fin, c’était le garçon qui le premier avait terminé son repas, raclant de la cuillère une dernière croûte de fromage collée au fond de sa grosse assiette de faïence ébréchée issue d’une autre époque. Le grand-père, après une dernière lampée, s’était arrêté de manger à son tour, non sans avoir essuyé le pourtour de son assiette avec un croûton de pain. Essuyant ses moustaches de ses doigts effilés aux articulations qui donnaient des signes d’un début d’arthrose, il rejetait en arrière du front sa casquette de sport en tweed à carreaux, puis prenait la parole :
-- Alors, jeune homme, j’ai essayé le plus possible pendant notre repas de ne pas trop déranger le cours de tes pensées, afin que tu puisses mieux cerner les questions qui te préoccupent au sujet de Dieu… De quoi voudrais-tu qu’on parle maintenant? T’as une idée en tête?
-- Oh ! j’en ai même plusieurs… Ça va peut-être te paraître curieux, mais la conscience, elle se situe où exactement chez l’homme..? On parle de l’âme, de l’esprit, du cerveau, du cœur, mais elle est où précisément dans tout cela ?
-- Question fort pertinente, mon garçon. Mais la réponse demande un certain développement, car elle risque assez, à la fin, de t’étonner… D’abord, as-tu déjà entendu parler de cette mystérieuse expérience de mort imminente qu’ont vécue des millions de personnes à travers le monde, et qui soulève tant d’intérêt et de questionnement auprès de nombreux chercheurs ?
-- Tu veux dire ceux qui sont en arrêt cardiaque et qui sortent de leur corps, tout à coup, pour aller se promener au plafond de leur chambre et se regarder d’en haut, étendu dans leur lit ?
-- C’est en fait une expérience de mort imminente… Mais il y en a d’autres qui suscitent beaucoup plus d’interrogations… D’abord, on estime que 82% des gens qui ont vécu pareille expérience n’en gardent aucun souvenir. Seuls 18% d’entre eux auraient des réminiscences de ce qu’ils auraient vécu, lors de ces événements pour le moins troublants où ils se seraient pour ainsi dire retrouvé dans l’anti-chambre du monde supraterrestre. 
-- Je sais pas où tu veux en venir, grand-p’pa, dit le garçon dans un échange de regards d’intelligence avec son aïeul, mais si c’est comme d’habitude, je sens que quand tu vas avoir fini de m’exposer ton idée, je vais me retrouver avec plus de questions que de réponses ! 
-- Ça se pourrait bien, en effet… Une des expériences les plus troublantes à jamais avoir été vécues en la matière, c’est celle d’une jeune Américaine dans la trentaine qu’on avait opéré au cerveau pour un anévrisme sur lequel je n’ai pas plus de détails, sinon qu’il s’agissait d’une opération chirurgicale de la dernière chance et des plus risquées… Avant toute chose, le corps de la jeune femme devait être refroidi progressivement à l’aide de couvertures réfrigérantes jusqu’à une température de 15 degrés Celsius, jusqu’à ce que le cœur s’arrête de battre par lui-même, jusqu’à ce que mort s’en suive… L’opération chirurgicale ne pouvait avoir lieu qu’à cette condition expresse. Il était essentiel que le cerveau ne présente aucune forme d’activité cérébrale tout le temps que les neurochirurgiens s’activeraient sur leur patiente… Pour s’assurer de la chose, on envoyait des ondes sonores au cerveau, afin de bien vérifier l’absence de toute activité électrique… Les neurochirurgiens sont formels : pendant toute la durée de l’opération, soit environ une heure-, la jeune femme était considérée comme morte, d’où le très grand risque qu’elle encourait de ne jamais pouvoir revenir à la vie, une fois venu le moment de la réanimer…
-- Tu m’intrigues, grand-p’pa. J’ai hâte de voir où tu veux venir.
-- J’y arrive… Je te rassure tout de suite, tout se déroula très bien pour la patiente en question. C’est même pour ça qu’elle a pu raconter ce qui lui était arrivé… Alors qu’elle était morte, qu’il n’y avait pas la moindre activité de son cerveau- les moniteurs auxquels elle était branchée confirmaient bien cet état de mort cérébrale totale-, eh ! bien madame suivait avec curiosité le déroulement de son opération !
-- Tu veux dire qu’elle regardait tranquillement les neurochirurgiens lui ouvrir le crâne et lui jouer dans le cerveau ?
-- Exactement. Et tranquillement, comme tu dis, puisqu’elle n’éprouvait pas le moindre mal, pas la moindre anxiété, totalement détachée de son corps… Et pendant toute l’heure qu’avait duré la délicate intervention, elle avait pu raconter en détails ce qui s’était passé dans la salle d’opérations, en plus de relater ce qu’elle avait vécu lors du troublant voyage qui l’avait conduit pour ainsi dire aux portes de l’« au-delà »… À son dire, elle avait été attirée par une lumière très vive de laquelle se dégageait une force d’amour dont aucun mot ne pourrait jamais arriver à décrire la sensation de paix et de bien-être qu’elle éprouvait en sa présence… Mais quand elle avait voulu marcher vers cette fascinante source de lumière, une voix en elle l’avait mise en garde : elle ne pouvait pénétrer en son sein, car elle n’avait pas encore accompli ici-bas tout ce dont elle devait s’acquitter… Si elle entrait dans cette lumière, elle ne pourrait plus en ressortir !
 -- Parmi ceux qui ont vécu une expérience de mort imminente, certains parlent d’une source de lumière très vive au bout d’un tunnel qui les attire par le feeling de paix et de bonheur qu’ils éprouvent à son contact… C’est la même chose, j’imagine ?
-- Ça y ressemble, en effet… Les chercheurs disent qu’on ne peut pas parler de phénomènes hallucinatoires dans ces cas-là, puisque ceux qui sont passés par cette expérience ne présentent aucun des symptômes propres à l’hallucination, dans ce qu’ils ont raconté par après… Les hallucinés sont en général excités et troublés à la suite de leurs visions, et plutôt déprimés dans les jours qui suivent, alors que ceux qui ont vécu cette expérience de mort imminente sont, au contraire, très calmes quand ils en parlent, considérant même que cette expérience les a enrichis puisqu’elle leur a apporté un grand sentiment de paix sereine et de confiance, en plus de leur enlever toute peur de la mort dans le futur… À ce point qu’une jeune femme qui avait passé par cette expérience n’hésitait pas à proclamer que si l’on prenait les mille meilleures choses qui pouvaient nous arriver dans notre vie, et qu’on les multipliait par le chiffre de un million, on n’arriverait même pas à approcher le sentiment de félicité qu’elle avait éprouvé en présence de cette mystérieuse source de lumière.
-- Et si on revenait au cas de l’Américaine opérée au cerveau… Tu semblais avoir encore des choses à me dire à son sujet…
-- Ainsi que je te le racontais, il y a un moment, elle était aux premières loges pour suivre ce qui s’était passé dans la salle d’opération, alors qu’elle était considérée comme morte. Aucune activité cérébrale, aucune vie, rien, et les moniteurs branchés sur son cerveau en attestaient… Et pourtant, elle avait décrit dans le détail certains des gestes qu’avaient posés les neurochirurgiens lors de la délicate intervention, et donné des précisions également sur certains de leurs instruments chirurgicaux, notamment les scies qu’ils avaient utilisées pour lui ouvrir la boîte crânienne, le bruit qu’elles faisaient, etc.…  Et comme plusieurs de ces savants médecins ont pour habitude d’écouter de la musique dans le bloc opératoire lors de leurs interventions, histoire de détendre l’atmosphère, la jeune femme avait même pu dire de quel groupe musical il s’agissait..! Et ce n’est pas tout, elle avait même pu suivre en direct le travail de défibrillation de l’équipe de réanimation, lors de son retour à la vie… Et elle avait raconté la désagréable impression qu’elle avait éprouvée, quand elle avait réintégré son corps gelé, avec sa poitrine qui lui faisait mal, puisque les médecins avaient dû s’y reprendre par deux fois pour parvenir à la ramener à la vie avec leurs défibrillateurs… Tu as l’air troublé par ce que je te raconte..? Si ça te dépasse, mon garçon, rassure-toi vite, moi aussi !
-- Je sais vraiment pas quoi te dire, grand-p’pa… Il y a quoi à comprendre là-d’dans ?  
-- Attends de connaître la conclusion à laquelle sont arrivés les chercheurs qui ont étudié le cas de cette jeune patiente… Et ce n’est pas un cas unique… Veux-tu que je t’en raconte, un autre aussi renversant..? Je fais ça vite… Encore une femme…Aveugle de naissance, celle-là. Elle n’a jamais rien vu de toute sa vie, puisque ses yeux ne se sont jamais développé… Elle avoue donc ne rien connaître des couleurs, pas même le noir, puisqu’elle ne voit strictement rien… Et puis un jour, cette femme vit à son tour une expérience de mort imminente… Et cette aveugle de naissance se met à raconter à son retour, non sans une vive émotion, ce qu’elle a vu autour d’elle durant son « absence » : sa découverte de la vie en images, et en couleurs..! Le choc qu’elle en avait ressenti..! Et pas juste elle, tous ceux qui étaient là autour d’elle, et dont elle avait pu voir les visages pendant un moment… Parce qu’à son « retour », elle était toujours aussi aveugle, évidemment…
Le vieil homme qui jusque là s’était calé contre le dossier de sa berceuse se redressa pour se pencher vers son petit-fils dont la chaise était juste à quelques centimètres en face de la sienne.
-- Les chercheurs qui se sont penché sur ces cas y ont mis du temps avant de livrer au monde la conclusion à laquelle ils sont arrivés… Des décennies de travail… Et ils ont été très honnêtes, prenant bien soin de préciser que cette conclusion ne repose sur aucune preuve… On ne peut en aucun cas en confirmer l’assertion, mais en aucun cas également l’infirmer… Mais pour moi, c’est la Révélation des révélations : la conscience se situerait en dehors de l’homme..! Le cerveau en serait son siège récepteur, mais ce n’est pas lui qui en serait la source, elle viendrait d’en dehors de lui..! Et ces éminents savants donnaient l’exemple de l’Internet. Des trésors d’information te parviennent via son réseau mondial, et tu peux retransmettre ces informations aux autres, si ça te chante, mais ce n’est pas toi qui en es la source. 
 -- C’est toujours du chinois pour moi, tout ça, grand-p’pa… Ça change quoi que la conscience vienne d’en dehors de nous ?
-- Réfléchis un peu… Ces deux femmes n’avaient aucune possibilité de raconter ce qu’elles ont vu, lors de cette expérience de mort imminente où le temps s’était arrêté pour elles… À moins d’accepter comme réelle cette hypothèse d’une conscience hors de leur corps… Cette conscience a tout vu de ce qui se passait autour d’elles, et en a imprégné leur cerveau. Puis, à leur réveil, celui-ci leur en a restitué les détails… Comment pourrait-il en être autrement..? Dans le premier cas, on a affaire à une femme considérée comme morte. Pas d’activité cérébrale, donc aucune forme de conscience… Dans le deuxième cas, une pauvre aveugle de naissance qui affirmait que même pas dans ses rêves il n’y avait aucune image, du fait que son cerveau n’avait jamais été capable d’en produire une… Difficile d’en être autrement quand t’es privée du sens de la vue. Pas de rétine, donc pas de cellules visuelles pour recevoir les impression lumineuses, donc impossibilité pour le cerveau de concevoir et de stocker dans sa mémoire quelque image que ce soit… Néanmoins, au réveil de cette pauvre aveugle, subitement son cerveau vierge, au plan de l’« imagerie » s’entend, se met à lui restituer en images des états de conscience passés desquels elle ne sait rien évidemment, puisqu’ils relèvent du temps écoulé pendant son « absence »… Des images qui provoquent un véritable choc chez elle, puisque tout ce qui se rapporte à la vie, visuellement parlant, lui était inconnu, jusque là.  
-- Je regrette, mais je ne vois toujours pas à quelle conclusion tu veux en venir, grand-p’pa, dit le petit-fils dans un haussement d’épaules.
-- Tu te souviens cet été de notre conversation à la maison, sur le bord du lac, quand tu m’avais mis au défi de Te dessiner Dieu..? On avait vu ensemble, quand on parlait de la création de notre monde, qu’aux dires de la science, les lois de la physique avaient les propriétés qu’il fallait pour créer des systèmes de plus en plus complexes dans l’Univers, jusqu’à produire, à la fin, l’intelligence et la conscience.
-- Je me souviens, oui…
-- Les découvertes de la science sur l’« homme moderne » arrivé en Afrique il y a environ 150 000 ans nous apprennent que, très tôt, il s’est éveillé à l’art du sacré… Même qu’on a trouvé  des traces de sa création artistique partout où il a vécu, à l’instant où il est sorti de son berceau africain… Que ce soit par ses peintures sur les parois des grottes ou la façon dont il décorait les tombes de ses morts, notre précurseur exprimait déjà une forte spiritualité… On pense qu’il a dû inventer la religion et l’art pour essayer de répondre à ses questions existentielles… Nos ancêtres ne peignaient pas pour le simple plaisir, tu sais. Trop d’indices laissent supposer l’existence d’une religion… T’as l’air d’en douter..? C’est le mot religion qui te fait tiquer ?
-- Ben, parler de religion à cette époque-là, c’est pas un peu fort, non ?
-- C’est quoi la religion, crois-tu..? C’est juste la reconnaissance par l’être humain d’un principe ou d’un pouvoir supérieur qu’il tient pour responsable de sa destinée, et à qui il prête obéissance et respect… Dans un univers peuplé d’animaux, il était logique que certains soient divinisés, pour nos précurseurs… Quand un chaman entrait en transe, par exemple, il entrait en relation avec un monde peuplé d’animaux et d’esprits auxquels il devait demander, selon les cas, soit de guérir les malades, soit d’attirer la pluie, soit que la chasse soit bénéfique… Encore aujourd’hui, des peuples restés proches de la nature font de même… C’était à tâtons bien sûr que la conscience de notre ancêtre se développait, mais tranquillement néanmoins, la vérité se faisait jour en lui… Il percevait qu’un tel monde ne pouvait pas avoir été créé sans l’aide de dieux ou d’un Dieu disposant d’une puissance absolue… Les athées ont un autre point de vue sur la question, bien sûr… Pour eux, c’est à cause de son incapacité de trouver des réponses satisfaisantes sur la place qu’il occupe au sein de l’Univers, que l’homme se serait inventé une survie après la mort et une âme susceptible de voyager dans un « au-delà », vers un Dieu ou des dieux protecteurs. Il espérait ainsi donner un sens à son passage ici-bas, tant il était effrayé- il l’est toujours d’ailleurs-, face à « la terreur de ce néant inévitable détruisant toutes les existences », comme l’écrivait si bien Maupassant… Tu me suis un peu plus maintenant, jeune homme ? 
-- Oui, ça va.
-- En clair, si la conscience est la résultante de l’évolution de l’homme, et qu’elle a été créée en lui par les lois physiques, tout ce qui a trait au divin pourrait bien être une création de son esprit pour se sécuriser face au terme inévitable de sa vie ici-bas… En revanche, si on accorde foi à la conclusion à laquelle sont arrivés les savants chercheurs qui ont étudié les cas troublants de mort imminente dont on vient de parler- des psychiatres de renom, des neurochirurgiens, des neuropsychiatres et j’en passe-, si la conscience vient de l’extérieur de l’homme, c’est Dieu qui lui en a fait cadeau..! C’est Dieu qui a alors mis dans l’homme la conscience de son Omnipotence… Dans le premier cas, Dieu, ce sont les hommes… C’est ce qu’affirmait notamment Jacques Brel… Dans le deuxième cas, Dieu est vraiment l’Être suprême qui a prévalu à la Création de l’Univers… Mais si tu veux, je propose qu’on poursuive cette discussion une autre fois, car il fera nuit avant longtemps, et il nous faut redescendre de notre pic… Et en plus, on a une bonne route à faire pour retourner à la maison.
-- À ta guise, grand-p’pa, je te suis.
-- Après Noël, j’ai l’intention de revenir ici, et si tu veux m’accompagner, on pourrait continuer notre discussion sur le sujet…J’aurais, entre autres, une petite énigme à te proposer… Je l’appelle le « Code divin »… À ne pas confondre avec le « Code Da Vinci »… Qu’en penses-tu ?
--  Ça me va, je suis partant… En autant que ce soit une journée où je n’ai pas de cours à l’école.
-- On pourrait choisir un samedi ou un dimanche… Dieu est un sujet de conversation qui nous laissera toujours en questionnement. C’est cela qui est fascinant… Et il ne faut surtout pas chercher à l’expliquer, paraît-il, car alors il se dérobe… Il faut juste tendre vers lui, et avec humilité…Tu te rappelles de ce qu’en disait Einstein ? « Dieu est la conscience de l’Univers…» Et il avait eu encore des mots magnifiques pour traduire de son intérêt indéfectible en tout ce qui avait trait au Créateur de cet Univers… Des mots qui traduisaient tellement bien de sa longue quête de vérité en tant que scientifique, qu’il me semble donc que tout homme devrait s’efforcer de les appliquer dans la conduite de sa propre vie…
-- Et c’est quoi au juste ces mots ?
-- « Je veux connaître les desseins de Dieu. Le reste n’est que détail ! »