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samedi 29 octobre 2011

Changer le monde, une belle utopie ?


Dernièrement, je prenais connaissance de quelques unes des déclarations qu’a laissées derrière lui Steve Jobs, le cofondateur d’Apple, sur la façon de vivre sa vie, avant qu’il ne nous quitte à jamais en ce début d’octobre. L’une d’entre elles, en particulier, me laissait songeur : « Les gens qui sont assez fous pour penser qu’ils peuvent changer le monde sont ceux qui le font. »
Ma première réflexion fut de me dire que bien peu d’entre nous doivent se sentir concernés par pareille déclaration. Pour la majorité, nous sommes froidement réalistes, et il n’y a guère de danger que pareille folie puisse nous passer par la tête.
Pourtant, est-ce vraiment de la folie que d’entretenir pareil rêve de changer notre monde ? Rêver de voir naître une humanité nouvelle de cette Terre des hommes qui se meurt à force de sécheresse dans ce désert d’égoïsme que nous en avons fait, malgré toutes nos belles prétentions à la liberté, l’égalité et la fraternité pour tous ?
Certains vont m’objecter que pareille folie n’est pas à la portée de tout le monde, que Jobs avait les moyens financiers d’aller au bout de ses rêves pour changer des choses en ce monde, pas eux. Et Mère Teresa de Calcutta qui tendait la main à ceux dont la souffrance semblait plus grande que la sienne, de quel pouvoir particulier disposait-elle donc au départ, hormis sa folie de vouloir se mettre au service des plus pauvres d’entre les pauvres pour leur apporter un peu de réconfort et de soutien ?
Était-elle différente de nous ? « Je suis d’un naturel sensible, disait-elle. J’aime les choses belles et agréables, le confort et tout ce que le confort peut apporter, être aimée et aimer ». Comme nous, elle avait aussi peur de l’inconnu. « J’ai tellement peur, Jésus, écrivait-elle dans son journal, si atrocement peur de me tromper. J’ai tellement peur… »
Et Saint François d’Assise qui toute sa vie fit la promotion de la solidarité envers les pauvres, les démunis, les marginalisés, et qui dénonçait les injustices et s’opposait à toute appropriation, qui donc était-il, quant à lui, à part le fait que certains considèrent que nul n’a plus ressemblé à Jésus que ce saint ? Un fils de famille riche qui avait tout laissé derrière lui et choisi de vivre dans le dépouillement pour être plus proche des pauvres de son époque, suite à une prise de conscience inspirée d’un passage de l’Évangile.
Teresa et François n’étaient pas différents de nous, si ce n’est que tous les deux avaient rêvé de changer le monde à leur manière. Et comme ils ne possédaient rien, hormis leur amour fou pour les sans-espoir, toute leur vie leur premier souci fut d’apporter aux déshérités les messages de consolation, d’espérance et d’amour contenus dans la Bible. Et François allait encore plus loin, d’une certaine manière, dans son implication. Premier écologiste de notre monde, oserait-on avancer, puisqu’il était aussi particulièrement sensible aux beautés et à la protection de la Création- il est bon de rappeler qu’il vécut au 13e siècle-, il enseignait que les humains se doivent de porter amour et respect envers toutes les créatures de Dieu.
Mère Teresa et François d’Assise sont les deux êtres qui tiennent peut-être le plus de Jésus, le premier grand révolutionnaire de notre monde. À l’exemple de leur Maître, ils étaient doux et humbles de cœur et ils vécurent dans le dépouillement et le détachement des biens matériels, s’inspirant en toute chose de l’ordre d’amour fraternel et de justice que leur Modèle obligé était venu implanter dans le cœur des hommes il y a 2,000 ans. Et comme Jésus, Teresa et François ont contaminé notre monde du virus de fraternité universelle qui les habitait. Lentement mais sûrement, ce virus est à jeter les bases de la prochaine grande révolution que connaîtra l’humanité. Deux témoins qui n’ont pas craint de se revêtir de la pauvreté des plus pauvres, pour entrer dans la démesure de l’amour de Celui à qui ils s’identifiaient dans leur désir fou de transformer petit à petit l’obscurité de notre monde en Sa lumière.
Le message de ces deux grands saints a fait du chemin depuis leur passage en ce monde. Leurs voix et leurs actions caritatives auprès des plus démunis ne se sont pas éteintes avec leur mort. Mère Teresa a laissé derrière elle ses « Missionnaires de la Charité » implantés dans les bidonvilles de nombreux pays. Juste au plan de l’assistance médicale, bon an mal an des dizaines de millions de déshérités de par le monde bénéficient de premiers soins auprès des centaines de dispensaires ambulants qu’elles ont mis sur pied. Toute cette puissance d’amour en marche est supportée par des dizaines de milliers de donateurs anonymes et de bénévoles.
Pour sa part, la prise de conscience de François d’Assise, à l’effet que toute la Création forme une grande famille, a fait du chemin elle aussi depuis le 13e siècle. Des milliers d’hommes et de femmes- la grande famille franciscaine-, ont suivi les traces de ce grand saint, en se laissant inspirer par son style de vie. Et même que dans les années 90, l’idée est venue à des membres de l’ordre franciscain de planter leur tente parmi les grands et les puissants de ce monde. Et non pas à Assise, mais à New York et Genève, à l’ONU ! Pour mieux agir sur les décideurs qui ont pouvoir de changer notre monde. Ainsi naissait l’organisme « Franciscains International », une ONG qui permet à ses membres d’intervenir à la table même des négociations de la Commission des Droits de l’homme.
La fonction de cette ONG est de faire entendre la voix des laissés-pour-compte aux tout-puissants de ce monde, à ceux dont les décisions affectent les populations de la planète entière. « Franciscains International » base constamment son travail sur les rapports provenant de ses membres. Les thèmes, les préoccupations, les réflexions qui sont transmis aux Nations-Unies sont toujours suggérés par eux. C’est dans cette perspective que s’est inscrite la prise de position de l’ONG sur les droits de l’homme, la pauvreté et l’extrême pauvreté. Un document qui a été préparé exclusivement sur la base de la contribution des membres de la famille franciscaine, auprès desquels on a fait circuler un questionnaire. De par leur longue expérience du vécu parmi les marginalisés, ces membres sont bien placés pour parler de la misère, puisqu’ils proviennent de tous les continents. L’action sur le terrain dispose maintenant d’une voix au niveau international.
Chaque mercredi midi, une prière est dite par les membres du bureau de « Franciscains international ». Je ne vous en relate que les derniers mots : « Et que Dieu te bénisse de la folie de croire que tu peux changer le monde, afin que tu accomplisses les choses que les autres te disent irréalisables. »
Changer le monde, un projet irréalisable ? Regardons bien autour de nous, pleins de fous d’amour et de fraternité entre les hommes n’ayant bien souvent que leur foi inébranlable en un monde meilleur sont déjà à le modifier. Ils n’attendent bien souvent que notre soutien désintéressé pour aller toujours plus de l’avant avec leur folie contagieuse. Il n’en tient qu’à nous de devenir à leur exemple des artisans de justice et de paix.
Mais on peut être fous d’une autre manière, malheureusement. Fous d’égoïsme et d’indifférence, ne vivant que pour l’appât du gain, notre petit confort personnel et les futilités de toutes sortes, alors que la vie nous file irrémédiablement entre les mains sans qu’on en prenne conscience et sans qu’on essaie d’en changer la moindre parcelle, tout en se plaignant amèrement que les choses vont donc mal en ce monde !
Désireux d’en savoir plus sur ces Frères et Sœurs de la grande famille franciscaine, mais aussi sur ces milliers de laïcs, hommes et femmes piqués du même virus de fraternité universelle ?
www.centremissionnairecapucin.org
Souhaitons-nous la folie contagieuse de Teresa et François. Deux êtres qui étaient assez fous pour penser qu’ils pouvaient changer le monde, et qu’ils l’ont fait !

lundi 24 octobre 2011

La princesse et la petite sœur

La princesse semblait avoir tout reçu en héritage de la vie : grâce, beauté, intelligence, fortune, honneurs, célébrité, et j’en passe. Fille d’un compte dans un pays où la monarchie jouait encore un rôle de premier plan au sein de la nation, elle avait eu le grand bonheur, à peine sortie de l’adolescence, de capter l’attention du prince héritier de la couronne. Ce dernier ne tardant pas à lui dévoiler sa flamme, il avait suffi de quelques mois de fréquentation ultra médiatisés pour que l’idylle royale connaisse la fin rêvée de tous les contes de fée. Cendrillon avait consenti à accorder sa main à son beau prince, et l’union du couple avait été célébrée en grande pompe dans une prestigieuse cathédrale de la capitale du pays. Un événement qui avait été couvert par la presse écrite et télévisée du monde entier, et qui avait attiré des centaines de milliers de personnes sur le passage du couple princier.
Née pour sa part quelques dizaines d’années plus tôt dans un pays aujourd’hui éclaté, au sein d’une famille pieuse et une communauté paroissiale fervente, la petite sœur était encore au seuil de l’adolescence lorsqu’elle avait su pour la première que sa vocation serait auprès des pauvres. De petite taille et n’ayant reçu ni grâce ni beauté à sa naissance mais une grande force d’âme, à l’âge de dix-huit ans elle avait quitté son foyer pour se faire religieuse, en vue de devenir missionnaire en pays de mission. Quelques années plus tard, le rêve de la petite sœur se réalisait enfin : par une chaleur torride elle débarquait dans un pays du bout du monde où les démunis, les malades abandonnés à leur sort et les mendiants vivant et dormant à même la rue se comptaient par dizaines de millions.
De son côté, dès les débuts de sa nouvelle vie, la « princesse cendrillon » avait continué de susciter l’intérêt de ses sujets. Le bon peuple adulait cette femme généreuse et simple à la beauté rayonnante. Et ce qui ne gâtait rien, elle menait de grands combats au profit de nobles causes. Ambassadrice de talent vêtue avec recherche et simplicité, elle attirait les regards de la presse du monde entier dans les moindres de ses déplacements. Profitant de cette tribune exceptionnelle pour sensibiliser les populations du globe aux causes qu’elle embrassait, elle voyageait et militait pour les lépreux, les sans-abris, les réfugiés, les femmes, les malades du sida. Son altruisme l’amenait même à faire campagne contre les mines antipersonnel en Angola et en Bosnie. Pas un déplacement, pas une prise de position qui n’étaient pas médiatisés à travers le monde.
Mais durant tout ce temps, son couple battait de l’aile, défrayant la chronique et alimentant les spéculations et les ragots de nombreuses publications tabloïd. Les rumeurs de séparation allant bon train, finalement le merveilleux conte de fée des deux époux princiers se terminait par un divorce. Ses apparitions officielles se faisant moins fréquentes avec cette séparation, la princesse, qui avait refusé d’abdiquer et demeurait une mère exemplaire pour ses deux fils, n’en poursuivait pas moins son implication auprès des laissés-pour-compte, notamment au profit des victimes du sida pour qui elle mettait sur pied un puissant fond d’entraide.
À l’autre bout du monde, alors qu’elle aurait certainement aimé passer inaperçue, décennie après décennie, la petite sœur continuait de poursuivre inlassablement son œuvre de charité. Ne pouvant pas toujours cacher son travail auprès des plus pauvres des pauvres, bien qu’elle ne s’attribuait jamais le mérite de ce qu’elle accomplissait, l’humble servante de Dieu était devenue au fil des ans une icône de la compassion aux yeux des gens de toute religion. À la tête d’une congrégation de missionnaires charitables qu’elle avait fondé au début des années cinquante, son dévouement extraordinaire auprès des malades, des mourants et des multitudes d’autres déshérités de son pays de mission était maintenant reconnu et acclamé dans le monde entier.

Si bien qu’en 1979, la petite sœur recevait le prix Nobel de la paix en reconnaissance de l’immensité du travail qu’elle avait accompli au profit des rejetés de ce monde, son œuvre dépassant à présent largement le cadre de sa lointaine terre de mission, puisque sa congrégation comptait maintenant des communautés établies dans une quinzaine de pays.
Les années passant, des gens de toutes confessions et de tous horizons apprenaient à reconnaître en nombre toujours croissant l’immensité du désintéressement de l’amour et de la compassion de la petite sœur des pauvres. Attirés par la joie et la paix dont elle rayonnait, tous ceux qui la rencontraient étaient fascinés par la simplicité et le dépouillement de sa personne, marqués à jamais par la grâce qui l’habitait et la profondeur de son regard. Jusqu’à ce jour de septembre 1997, où le monde apprenait avec tristesse et chagrin que la vie terrestre de celle qui avait apporté tant de lumière aux hommes s’était éteinte à jamais.
Presque aux mêmes heures, à des milliers de kilomètres de là, la princesse qui après son divorce avait continué à alimenter régulièrement les spéculations des publications tabloïd du fait d’une vie amoureuse secrète et d’une nouvelle idylle avec un célèbre play-boy richissime, connaissait une fin tragique, suite à un funeste accident de voiture. La dramatique information, aussitôt connue, était diffusée à la une des chaînes de presse du monde entier, semant partout émoi et consternation et relayant loin derrière la triste nouvelle du décès de la petite sœur des pauvres.
Comme si la vie elle-même s’était arrêtée, les grande chaînes d’information multipliaient sans fin les reportages montrant des gens éplorés cherchant à se consoler mutuellement, pendant que les messages de sympathie affluaient par dizaines de milliers au palais des souverains régnants. Aux grilles d’entrée du château, les gerbes de fleurs, les animaux fétiches en peluche et les bougies et lampions de toutes sortes témoignant de la douleur de tout un peuple s’entassaient sur près d’un pâté de maisons. Le pays tout entier était plongé dans le deuil.
Pareille douleur ne pouvant s’exprimer que dans le grandiose, des funérailles d’état étaient décrétées. Rien de moins que l’abbaye la plus prestigieuse du pays pour en célébrer le culte religieux, lieu si sacré que presque tous les rois de la nation y avaient été couronnés. Des ambassadeurs et des représentants de tous les pays du monde assistaient à l’auguste cérémonie, afin d’accompagner dans la douleur la famille de celle qui allait être désormais connue sous le nom de « princesse des cœurs », pendant que la presse télévisée des quatre coins du globe en retransmettait tout l’apparat dans les foyers.
De la petite sœur des pauvres devenue la figure emblématique de la compassion agissante auprès des miséreux de notre monde, la même presse de l’image consacrait de courts reportages au lendemain de sa mort, montrant sa dépouille reposant sur un lit de fleurs et portée à bras d’hommes dans sa terre d’adoption vers le lieu de sa sépulture. Parmi les nombreux témoignages traduisant de la douleur de la multitude de déshérités pour qui elle n’avait eu que des bontés tout au longe de sa vie, une des innombrables banderoles déployées par ses fidèles reconnaissants proclamait : « Mère, vous avez été une source de lumière dans ce monde d’obscurité ».
Aujourd’hui, alors que nous sommes entrés dans le 21e siècle depuis plus d’une décennie déjà, en dépit du passage du temps, un certain culte du merveilleux est toujours entretenu autour du décès tragique de la princesse des cœurs. On se rappelle bien ici et là, le temps d’un article dans la presse écrite ou d’une émission télévisée, de certains de ses gestes caritatifs à l’égard de causes humanitaires qui lui tenaient particulièrement à cœur, et dont d’autres de ses partisans ont repris le flambeau.
Pour leur part, la vie et le message de la petite sœur des pauvres continuent toujours de fasciner. Bon an mal an, à eux seuls, plus d’un milliard trois cents millions de consultations médicales attestent mieux que tous les mots des bienfaits des quelque mille cinq cents unités médicales ambulantes qu’elle a mises sur pied au cours de sa vie, afin de venir en aide aux gens privés de soins médicaux dans sa terre d’adoption. Et la congrégation de ses Missionnaires de la Charité qu’elle laisse derrière elle poursuit inlassablement son œuvre d’humanité au milieu de nombreux bidonvilles de notre monde.
Le recueil des témoignages et documents en vue du procès en canonisation de la petite sœur maintenant béatifiée révèle des profondeurs de sainteté jusqu’ici inconnues. Des confidences qui pourraient très bien la mettre au rang des grands mystiques de l’Église. Étrangement, c’est au moment où la capitale de son pays d’adoption était plongée dans l’obscurité suite à une panne d’électricité majeure que la bienheureuse s’éteignait, elle qui avait apporté tant de lumière à ses habitants et au monde entier.
Cela ne pourrait-il pas être perçu comme un appel à reprendre le flambeau à sa suite ? Partout autour de nous la misère est infinie. En s’impliquant, ne serait-ce que pour apporter à notre tour notre modeste collaboration au plus humble des actes de compassion, si négligeable cet acte puisse-t-il sembler, c’est de l’amour de Dieu lui-même dont nous rayonnons à l’instant que nous posons ce geste fraternel de solidarité à l’égard de notre semblable, contribuant dès lors, malgré l’insignifiance de cette modeste action, à faire reculer l’obscurité qui enténèbre notre monde !

jeudi 20 octobre 2011

Nos actes aussi ont un ADN


Dans la vie, nous sommes parfois l’objet d’invitations à nous engager au service des autres. Les causes requérant notre soutien ne manquent pas, certaines d’entre elles étant même de véritables appels de détresse, tant la misère humaine peut revêtir de visages douloureux, tant le besoin est incessant. Des demandes qui souvent sont exigeantes, dérangeantes, et qui nous obligent à se remettre en question dans nos relations à l’égard de nos semblables.
Notre première réaction à ces sollicitations de s’engager au service d’une cause n’est-elle pas d’invoquer un emploi du temps contraignant pour se débarrasser au plus vite de l’intrus, la plupart d’entre nous ne manifestant guère d’intérêt pour les affaires des autres? Combien de fois ne passons-nous pas outre à pareilles demandes d’implication, faisant mine de n’avoir rien vu ou entendu ou, mieux encore, feignant mollement d’accepter de considérer la demande en question, pour s’en détourner et la mettre en oubli aussitôt que nous avons le dos tourné ?
Ceux qui ne reconnaissent pas Dieu dans le visage de l’autre, qui sont fermés à ses difficultés, sa solitude, ses appels à l’aide, ont des yeux pour voir mais ne voient pas, des oreilles pour entendre mais n’entendent pas. Seul le cœur peut nous permettre de voir le désarroi de l’autre et entendre ses interpellations souvent muettes. Tout l’Évangile repose sur ce regard neuf que l’on pose sur notre semblable.
« Dans ce monde, il y a plus de faim pour l’amour et la rencontre de l’autre que pour le pain », déclarait Mère Teresa. L’amour du prochain est au cœur du message évangélique. Personne ne peut affirmer aimer son semblable s’il n’est pas attentif au mystère qui habite celui-ci et qui est l’essence même de son existence. Tous nous avons quelque chose à apporter aux autres. Tous nous avons reçu un don particulier à la naissance dont nous avons le devoir de faire profiter nos pareils. L’Évangile va plus loin : « Ce que tu as reçu gratuitement donne le gratuitement ».
Si nous n’avons pas encore trouvé ce talent qui nous est propre, c’est que nous avons peut-être négligé de nous mettre à l’écoute de notre cœur. Lui seul peut nous révéler cette prédisposition qui dort en nous, car inconsciemment nous sentons sa présence. Il s’agit toujours d’un désir dont l’impulsion stimule notre intelligence et nous pousse à agir et à nous démarquer des autres dans un domaine particulier. Et quand nous avons trouvé cette disposition naturelle susceptible de marquer l’empreinte de notre passage en ce monde, notre devoir est d’en faire partager l’excellence à nos pareils. Sinon, on passe à côté de l’essentiel de notre existence. Car c’est ce talent propre à chacun de nous et partagé dans l’entraide qui proclame de notre présence au monde, qui témoigne le mieux de la singularité de notre être au sein de la Création.
Tous nous avons quelque chose à apporter à nos semblables. Chacun porte l’univers en lui. Les autres sont pour nous ce que nous sommes pour eux. Sur tous les chemins de la vie, nous sommes appelés à rencontrer des gens. Pour certains, nous les précédons, nous les dépassons. Pour les autres, c’est eux qui nous précèdent et qui nous dépassent. L’important, c’est de s’accueillir, de s’écouter, de s’accompagner, de se supporter. Mais cela demande de la générosité, car il est parfois difficile de quitter son cocon pour aller vers l’autre, tant nous sommes centrés sur nous-mêmes, tant chacun veille égoïstement à ses intérêts, laissant à Dieu le soin de l’intérêt général. Et encore…
« Je veux imaginer, écrit Tocqueville, sous quels traits nouveaux le despotisme pourrait se produire dans le monde. Je vois une foule innombrable d’hommes semblables et égaux, qui tournent sans repos sur eux-mêmes pour se procurer de petits et vulgaires plaisirs, dont ils emplissent leur âme. Chacun d’eux retiré à l’écart est comme étranger à la destinée de tous les autres, ses enfants et ses amis forment pour lui toute l’espèce humaine. »
Quelle sorte d’homme voulons-nous devenir : des hommes debout comme des phares dans la nuit, en marche et engagés au service du monde ? Des éveillés conscients d’avoir tout pouvoir de changer les choses de cette terre en s’entraidant et en mettant en commun leurs talents et leurs ressources, hâtant ainsi la venue du règne de justice et de gloire de leur Créateur, ou des ignorants jouisseurs, avides de petits plaisirs et fermés aux souffrances et aux problèmes de leurs semblables, et de ce fait fermés à Dieu lui-même ?
Le libre arbitre nous appartient. Mais n’oublions jamais, comme l’écrivait si bien Albert Camus, que « nos actes retentissent éternellement et sont nos juges ».

dimanche 16 octobre 2011

L’homme réinventé

                          
            Qui d’entre nous n’a pas rêvé un jour ou l’autre de changer notre monde ? « Ah !si j’étais le bon Dieu, affirmons-nous avec l’assurance d’un gérant d’estrade, il me semble que je n’aurais pas eu de misère à faire mieux! D’abord, je n’aurais pas permis qu’il y ait tant de désordre, de pourriture et d’atrocités de toutes sortes. J’aurais fait un monde où il n’y aurait eu que la paix et l’amour entre les hommes. »
            À croire pour un peu que Dieu serait responsable de tous nos maux ! A-t-on oublié que cette terre nous a été donnée en partage, et que l’entière responsabilité d’en assurer la bonne gérance nous incombe à tous ? L’homme créé libre ne se serait-il pas enfermé en lui-même en choisissant de faire cavalier seul dans la gestion de son legs ? En ne reconnaissant pas le secours de l’Esprit en lui, le Souffle, la Vie même de sa vie, ne se serait-il pas nié lui-même, privé de la parfaite connaissance des choses divines et humaines ? Faire fi de l’Amour qui avait été déposé en lui à sa Création, et qui était un gage de l’unité de son esprit avec celui de son Créateur, n’aurait-il pas transformé l’homme en un être orgueilleux, vindicatif, prompt à la condamnation et aux représailles ? Refusant le pardon, l’indulgence et la paix à ses semblables, ne se serait-il pas enfermé en enfer, un enfer qu’il aurait lui-même créé ?
            Comment Dieu aurait-il pu créer l’enfer puisqu’il est perfection ? Depuis quand ce qui est parfait peut-il engendrer son contraire ? La lumière, si elle côtoie les ténèbres, leur est pourtant opposée. Les ténèbres apparaissent à l’instant où la lumière disparaît. L’homme, en faisant le choix de rejeter Dieu de sa vie ou de trouver des accommodements avec Lui, se détourne de la Lumière. Il vit alors dans les ténèbres, sous l’emprise de l’ignorance, de la déraison et de la folie, fermé aux autres, se regardant le nombril, sans guide, sans repère, sans espérance.
             La première étape dans l’itinéraire initiatique de l’homme qui cherche à trouver en lui la révélation d’un Dieu semblant briller par son absence, c’est la reconnaissance de son indignité, de tous ces vices et laideurs qui s’étalent dans toute leur nudité sous le regard de son Créateur. La seconde, c’est la quête de la Source en lui. Dieu nous donne l’impression d’éloignement, mais c’est nous qui nous nous sommes détournés de Lui. Pour retrouver cette Présence vivifiante, il faut prendre le temps de s’arrêter, prêter l’oreille, s’abandonner, se souvenir de l’enfant toujours présent en nous et dont le Christ nous invite à retrouver la pureté, l’étonnement et l’émerveillement, toutes facultés de l’âme qui sont le commencement de la Sagesse. Laissez vivre cet enfant en nous nous fera poser sur le monde un regard frais et nouveau.
            La véritable connaissance n’est pas accumulation de savoir mais fraîcheur du regard, innocence du cœur. Il nous faut apprendre à voir au-delà des apparences, si on veut espérer découvrir de nouvelles profondeurs en nous et chez les autres. C’est la quête de l’absolu, de l’essentiel, de ce qui est par son essence. Ces choses ne sont pas cachées, elles sont mêmes évidentes, mais elles échappent au regard. Comme l’exprimait si bien St-Exupéry, si elles sont invisibles pour les yeux, c’est parce qu’on ne voit bien qu’avec le cœur. Aussi faut-il cultiver en nous ce regard nouveau, celui-là même avec lequel Dieu nous voit. Car malheureusement nos yeux sont obscurcis par tous ces préjugés, toutes ces croyances et opinions préconçues qui nous remplissent de suspicion à l’égard de notre  prochain.
            À une certaine profondeur de vérité, on est seul face à soi-même, face à Dieu. Étonnamment, cette quête d’absolu ne nous sépare pas des autres. Au contraire, elle nous permet de les percevoir dans ce qui compose leur essence même. Lorsqu’on cherche, on trouve. Lorsqu’on a trouvé un début de réponse à notre questionnement, il nous faut plus que jamais demeurer en éveil afin de retrouver notre innocence originelle, notre identité véritable. Plus cette perception se fera révélation en nous, plus elle nous débarrassera de cette gangue des représentations illusoires de notre petite personne qui nous conduit à offrir à l’autre une fausse image de vertu, alors que l’intérieur est corrompu.
            Le goût et le besoin du Vrai nous conduisent à retourner notre sol, à le défricher. Et comme nous portons une semence divine qui ne peut croître que dans une terre labourée, il faut persévérer dans notre travail de défrichement, la plus petite des semences pouvant donner naissance au plus grand des arbres. Un arbre de vie, aux ramures fortes, porteur de fruits pour nos semblables.
            Telle est la quête de vérité qui conduit au champ de la vraie connaissance. Par notre défrichage, nous prenons possession graduellement de ce champ en vue de le faire fructifier. Commence alors à poindre en nous l’homme nouveau, l’homme attentif, délicat, fraternel, ouvert aux autres. Toujours plus conscient des entraves qui nous empêchent d’accéder à cette vraie connaissance, notre libération passe par le grand nettoyage de toutes ces petitesses et méchancetés de notre esprit qui font obstacle à la complète émancipation de notre intelligence.
            « Beaucoup sont appelés, peu sont élus. » (Évangile). C’est dans la mesure de notre réponse à l’Intelligence créatrice, que nous nous rendons aptes à notre élection. Dans le cas d’une démarche visant à reconnaître et manifester cette préséance de l’Esprit en nous, nous devenons alors l’ouie, la parole, l’œil de l’Auteur de nos jours. Un tel homme réinventé à l’image de son Dieu ne peut plus supporter l’injustice autour de lui, l’indifférence de tant d’entre nous face aux souffrances des opprimés. Comme il aime alors son prochain comme lui-même, « si ce prochain est dans la souffrance, alors il est lui-même dans la souffrance », comme le disait si bien l’abbé Pierre.
            Celui qui réapprend à voir notre monde avec les yeux du cœur se libère des ténèbres pour marcher dans la Lumière. Mais pour percevoir cette Lumière, il faut cultiver l’innocence du regard, une fraîcheur qui ne trouve sa source que dans la pureté du petit enfant. Heureux ceux qui ont développé cette faculté de voir propre aux cœurs purs, car non seulement ils savent que la chair périssable en eux retournera à sa poussière d’origine, mais ils savent aussi que leur esprit issu de la Lumière retournera à la Lumière.
            Cet homme nouveau tourne le dos sans regret aux choses qui sont derrière lui, car désormais il va de l’avant, vers les choses essentielles qui sont devant lui, dans la Lumière.  
            Un seul homme éveillé, et une humanité nouvelle peut se lever.

mardi 11 octobre 2011

Le bonheur

                                                  

         Assis dans le jardin de sa coquette petite maison qu’il avait mis des années à améliorer sans cesse afin d’en faire le lieu de retraite idéal pour ses vieux jours, l’homme regardait avec envie les luxueuses résidences de son voisinage qui en quelques années avaient poussé comme des champignons. Des maisons de ville cossues, tout en pierres de taille, avec jardins à l’anglaise pour certaines, plus classiques pour d’autres, l’une d’entre elles trônant même au milieu d’un aménagement paysager à la japonaise. Toutes rehaussées encore de patios, piscines, dépendances et garages doubles. Les voitures rutilantes garées fièrement à l’entrée de ces maisons venaient témoigner de façon éclatante de l’apparente aisance financière des maîtres de ces lieux.
            Alors que notre rêveur laissait courir son regard de l’une à l’autre de ces résidences de rêve depuis un moment déjà, un petit homme contrefait qui avait tout du nabot et qui déambulait tranquillement au long des trottoirs s’arrêtait à sa hauteur.
           -- Je sais de quoi vous rêvez, monsieur, lui dit-il d’entrée de jeu, avec un grand sourire malicieux déridant son visage de gnome espiègle. Et je peux combler vos rêves, si ça vous chante.
            Surpris, pour le moins décontenancé, le propriétaire des lieux répondait à notre visiteur par une boutade :
            -- Ah ! oui, vous êtes voyant ? Et vous pouvez exaucer les rêves par surcroît ? Moyennant quoi comme déboursé ? C’est quoi votre salade ?
               --  Je ne suis pas voyant, même si je lis dans les cœurs, vois l’avenir et connais le passé. Et je n’ai rien à vous vendre, rassurez-vous. Mais je sais que vous rêvez de posséder une maison de prix et une voiture de prestige. Toutefois, vous n’avez pas les moyens financiers de vous payer pareil rêve. Néanmoins, je peux vous offrir tout cela… Ce n’est pas une blague… J’ai bien le pouvoir d’exaucer votre désir, si cela peut vous rendre heureux. 
                --   Chiche, que vous n’en êtes pas capable ! répliqua notre homme sur un ton goguenard.
             --  Il ne faut jamais me mettre au défi, dit le nabot avec un étrange sourire, la voix doucereuse, reprenant tranquillement sa marche comme si de rien n’était. Si j’étais vous, je commencerais à emballer mes affaires dès maintenant, ajoutait-il par-dessus son épaule. Car il vous reste peu de temps à demeurer ici !
            Amusé par cette rencontre, l’homme s’empressait d’en raconter les détails à sa femme sur l’heure. Mais celle-ci trouvant la chose nullement drôle s’inquiétait plutôt à l’idée qu’un esprit aussi dérangé puisse se promener ainsi en toute liberté, sans la moindre surveillance. Trois jours plus tard, alors que l’épisode était déjà oublié, une surprise de taille attendait les deux époux. Un huissier se présentait à leur porte pour leur remettre en main propre une notification leur enjoignant de se présenter sans tarder au cabinet de « maître Untel, notaire. »
             -- C’est pas vrai, pincez-moi pour être sûr que je ne rêve pas ! laissait échapper notre homme dans un cri à son arrivée chez le notaire, alors que ce dernier lui présentait un acte notarié en bonne et due forme lui signifiant qu’il était désormais l’heureux propriétaire d’une nouvelle maison estimée à tout près d’un million de dollars, à un coin de rue de son actuelle résidence.
            Et la nouvelle demeure ne venait pas seule. Question de standing, une voiture de grande marque l’accompagnait.
            Le seul hic, c’est que l’acte de propriété de la somptueuse résidence était assorti d’une clause stipulant aux heureux propriétaires qu’ils n’auraient pas droit de revendre leur nouvelle maison avant vingt ans. Et il en était de même pour leur nouvelle voiture. Ils devaient s’en satisfaire jusqu’au jour où elle serait bonne pour la casse. Quant à leur ancienne maison, l’acte notarié spécifiait encore que le couple devait la donner en échange de sa nouvelle demeure.
            Tout à leur bonheur d’être l’objet d’un tel présent, l’homme et la femme ravis jusqu’à l’extase signaient les documents qu’on leur présentait les yeux fermés, tant ils étaient sûrs de vivre un véritable conte de fée. Et dans les jours qui suivaient, laissant tout derrière eux de leur ancienne chaumière où ils y avaient coulé une vie heureuse, ils aménageaient dans leur nouveau palace déjà décoré et meublé selon la dernière tendance.
            Un an plus tard jour pour jour, alors que notre homme, l’air harassé et la sueur au front trimait dur à débarrasser de ses mauvaises herbes une superbe rocaille de sa nouvelle propriété dont les fleurs étouffaient sous l’envahissement du chiendent, soudain une voix familière l’interpellait derrière son dos :
             -- Heureux de vous revoir, cher monsieur..! À ce que je vois, le travail ne manque pas… Satisfait de votre nouvelle propriété ?
             -- Vous ! répondit notre homme, à la fois surpris et vivement contrarié en découvrant l’identité de son visiteur. Vous avez le culot de vous représenter devant moi après ce vous m’avez fait ?
            -- Je vous rappelle, mon bon monsieur, que je n’ai fait qu’exaucer votre souhait de posséder cette maison de rêve. Rien de plus. Quand je vous ai dit que j’avais ce pouvoir de combler vos désirs, vous m’avez mis au défi de m’exécuter… Si quelque chose ne va pas, vous ne devez vous en prendre qu’à vous. Je n’y suis pour rien.
  -- Pour rien, ah ! oui ? Vous m’avez leurré..! Cette maison et tout ce qui vient avec elle, c’était un marché de dupe..! Avez-vous une idée de ce que ça me coûte par année, juste en électricité, en taxes et en chauffage pour demeurer ici ? Et je ne parle pas des autres déboursés de toutes sortes, comme les assurances qui me coûtent quatre fois plus cher qu’avant, l’air conditionné l’été, l’entretien de la piscine, les frais de son chauffe-eau, des produits chlorés pour son eau, sans oublier tous les autres coûts reliés à l’aménagement des huit rocailles de la maison, l’achat des fleurs, des engrais à jardin, le coût des soins à apporter au gazon, le déneigement l’hiver de toute cette immensité, cette limousine qui siphonne comme un camion et qui carbure évidemment juste au « super », sans compter ses autres frais d’entretien… Ça ne finit plus ! Des comptes à payer, en veux-tu en v’là..! Et le pire, c’est que je passe mon temps à essayer de tout faire par moi-même pour essayer de réduire les coûts ! L’autre propriétaire avant nous pouvait se payer un jardinier et un homme de maintenance, mais nous on n’en a pas les moyens. Rendu à la fin du mois, c’est à peine s’il nous reste de quoi dans nos poches pour se payer une bouteille de vin ! Ma femme et moi on ne s’était jamais disputé avant cela. Maintenant, on se chicane sur tout, à cause de nos problèmes d’argent..! On a passé un marché de dupe avec vous ! Vous nous avez roulé..! Si c’est ça le bonheur que vous avez à offrir aux gens, vous devriez le garder pour vous !
-- Vous ne m’avez pas demandé de vous apporter le bonheur que je sache, répliqua le petit homme avec une moue malicieuse. Votre vœu secret, c’était de posséder une maison cossue et une voiture de grand luxe. C’est à vous qu’il faut vous en prendre, pas à moi, si vous avez fait un mauvais choix. Auriez-vous choisi le bonheur comme voeu, que je n’aurais pas eu à l’exaucer…
-- Ah ! oui, s’exclama notre homme avec un visage étonné. Pourquoi donc ?
-- Tout simplement parce que vous l’aviez déjà, là où vous demeuriez !


jeudi 6 octobre 2011

Soudain l’été dernier

     

                 On était à la mi-septembre, et l’homme avait été réveillé en sursaut au beau milieu de la nuit par le crépitement que faisait la pluie contre les carreaux de sa chambre. Se mettant sur pied et se dirigeant vers la fenêtre entr’ouverte, il prenait conscience du même coup que le temps avait fraîchi. Regardant à travers la vitre, il pouvait voir les grands arbres de son jardin littéralement se tordre d’effroi sous le souffle violent d’un noroît déchaîné qui chassait tout devant lui avec un gémissement lamentable et sinistre. À ce point qu’on eût pu croire un instant à un terrible vent de malheur, annonciateur de lugubres calamités pour tous les foyers qu’il se plaisait à tourmenter de son souffle rageur.
                     Faisant un rapide tour de sa maison pour y fermer partout à volet derrière lui, l’homme retournait se coucher sans attacher plus d’importance à cette saute d’humeur de dame nature, se rendormant presque aussitôt du sommeil du juste. Au matin, comme il se mettait sur pied pour vaquer à ses occupations coutumières, il pouvait constater à travers ses vitres que le vent n’avait faibli en rien au cours de la nuit. Au contraire, s’égosillant à présent avec une rage redoublée aux fenêtres de sa maison, il continuait de répandre l’épouvante sur son passage, en martelant les grands pins du voisinage de si rudes coups que ceux-ci courbaient le dos en laissant entendre de sourds geignements de protestation. Quant aux fleurs de son jardin, elles étaient dans un si triste état, qu’on eût pu croire encore une fois que quelque géant fou se fût amusé au cours de la nuit à les chiffonner et les froisser rageusement entre ses mains.
                  -- Mon Dieu, quelle tristesse ! marmonna l’homme entre ses dents. Du vent, de la pluie et du froid, comme à l’automne tard… Soudain l’été dernier !
                     Du coup, il se sentait envahir par une étrange nostalgie en réalisant qu’un autre été de son éphémère existence venait de s’envoler à tout jamais. Il en avait été de même pour l’époque révolue de ses vingt ans. Cette saison de sa vie était loin derrière lui maintenant. Une réflexion de Lamartine lui revenant à l’esprit, « éternité de la nature, brièveté de l’homme », il  prenait conscience de son néant face à cette nature immuable, s’attardant un instant à faire un rapide bilan de ce qu’avait été sa vie à venir jusqu’à ce jour.
                     Dans sa jeunesse, à l’exemple de millions d’autres jeunes de par le monde, il avait tourné le dos à sa foi, se conformant à des modes et se soumettant à des usages que souvent sa conscience avait désavoués. Il le reconnaissait volontiers aujourd’hui, il avait été l’esclave du respect humain. Orgueilleux, ignorant et vantard, ne voyant que la surface des choses, il avait même eu la prétention de devenir libre en secouant le « joug » de Dieu. Et alors qu’il croyait conquérir sa liberté ce faisant, il s’était éloigné du vrai et s’était constitué dans le faux. Plein de lui-même, il savait tout, il avait tout vu, il se suffisait en tout. De la vie, il avait usé et abusé, et toutes ces adorations de la chair, toutes ces mollesses de mœurs, toutes ces abdications de conscience et de caractère lui avaient rivé plus solidement au cou et aux pieds les chaînes de l’esclavage.
                     Il en avait été ainsi jusqu'à ce jour funeste où un coup du sort lui avait fait prendre conscience de la fausseté de son jugement et des erreurs de son appréciation, lors d’une délicate transaction immobilière qui avait mal tourné. Il avait alors connu non seulement l’humiliation professionnelle, mais également l’humiliation morale, et même l’humiliation publique. Suite à ce revers de fortune qui avait conduit ses proches à lui tourner le dos, l’homme s’était réfugié dans une église, chose qu’il n’avait pas faite depuis des années. Et alors qu’il restait planté là devant le Sanctuaire, sans un geste, sans une parole, sans une prière, seul avec ses tourments, il avait pris conscience soudainement que vivre sans Dieu l’avait conduit à vivre seul, désabusé, chargé d’angoisses, enfermé le plus souvent dans une misère morale qui avait fait de lui une véritable âme en peine soumise aux caprices de tous les vents mauvais de ce monde et incapable de discerner le vrai du faux.  
                     Les mois passant, lentement mais sûrement, l’homme s’était relevé de son épreuve. Puis, au seuil de la trentaine, il avait rencontré une femme d’exception, et grâce à l’amour de cette conjointe dévouée et au soutien inconditionnel qu’elle lui avait apporté dans sa reconstruction morale et professionnelle, il avait repris foi en son Dieu, alors qu’auparavant il n’avait que les lueurs incertaines de sa vacillante raison pour prévenir ses chutes et l’aider à se relever lorsqu’il tombait.
                     Mais quand il regardait derrière lui à présent, l’homme constatait que son parcours religieux ne s’était pas fait sans nouvelle crise d’incrédulité toutefois. Sa foi en Dieu avait oscillé avec la bonne et mauvaise fortune de sa vie. Irrésistible dans les moments de bonheur et de prospérité, elle avait disparu presque complètement lorsque l’épreuve avait frappé à sa porte. Bien que croyant, il était de ces hommes qui dans l’adversité interprétaient le silence éternel du Ciel comme une absence de réponse à leurs prières. Néanmoins, même si sa foi s’était refroidie dans ces moments d’épreuve, il avait refusé de s’abandonner au désespoir et de laisser croître en lui ses mouvements de révolte. Quelque chose comme un « appel au secours » muet, à la limite de son champ de conscience, avait continué à solliciter l’aide du Ciel dans ces moments de crise, détournant de son âme l’angoisse et le doute pour leur substituer l’espérance consolatrice.
                     Aujourd’hui, alors que l’homme commençait à croire que son avenir était derrière lui avec l’approche de la septantaine, sa foi au Ciel passait par une acceptation totale de ses volontés. Tout comme un grand fleuve tranquille poursuivant paisiblement sa route vers la mer en dépit des obstacles qui venaient parfois entraver le cours de ses eaux, il cheminait sereinement vers son Dieu avec une confiance inébranlable. Il avait accepté que son Créateur pense différemment de lui, et qu’Il lui vienne en aide à sa manière et non pas nécessairement comme lui le souhaitait, imprégnant son esprit de cet oracle de Yahweh tiré du Livre d’Isaïe pour bien se pénétrer de cette vérité :  
                     « Mes pensées ne sont pas vos pensées, et vos voies ne sont pas mes voies.»

dimanche 2 octobre 2011

Païens ?

                                                 

            Il y a quelque temps, lors du décès d’un politicien de grand renom estimé et vénéré de tous pour ses ambitions de faire de son pays une société juste et donner une voix aux démunis, des milliers de personnes tenaient à lui rendre un dernier hommage. Aussi, spontanément, des centaines d’entre elles se massaient à l’extérieur des lieux où il avait siégé et débattu de sa grande vision d’avenir pour ses concitoyens, afin de déposer fleurs, messages de sympathie et autres attestations de leur admiration et de leur respect à l’égard de cet homme politique bien-aimé.
            Alors que la télévision et la presse écrite multipliaient les comptes rendus de l’événement, et que grossissait d’heure en heure l’amoncellement temporel des témoignages d’affection et de reconnaissance laissé sur place par la foule éplorée, j’étais frappé tout à coup par le côté hétéroclite de certains des objets abandonnés sur la pelouse des lieux en guise de marques de sympathie. Outre les messages de toutes sortes adressés en hommage au vénéré défunt, les nombreux petits drapeaux unifoliés, les fleurs offertes en abondance, les lanternes et lampions de toutes sortes créés pour certains à partir de bocaux pour poissons ou de lampes servant à éloigner les mouches, on pouvait voir jusqu’à des canettes d’eau gazeuse et des bouteilles de jus d’orange.   
Ce qui n’était pas sans me rappeler un certain décès au cours duquel j’avais pu voir de mes propres yeux une proche du défunt glisser dans son cercueil, à l’insu de tous, une bouteille de vieux cognac dont, semble-t-il, le disparu avait rêvé toute sa vie. De même, une personne de mes connaissances affirmait avoir bien spécifié dans son testament qu’elle désirait, au jour de sa mort, voir ses cendres mêlées à celles de son chien idolâtré. Si celui-ci était toujours vivant lors de son décès, ordre était donné de l’euthanasier. Dans le même ordre d’idée, lors d’une émission télévisée consacrée aux cinquante ans de vie artistique d’un chanteur de charme reconnu comme l’idole de toute une génération de femmes, l’une d’entre elles faisait étalage d’une imposante collection de photographies dédicacées de sa vedette adorée, tout en prenant soin de préciser que ces photographies étaient destinées à l’accompagner dans l’au-delà, au jour du grand voyage, un compartiment de son cercueil ayant été spécialement aménagé à cet effet.
« La mort est un processus qui gagne de proche en proche », écrivait un auteur célèbre. Mais qu’en est-il de toutes ces nouvelles exigences et façons de faire avec le repos de la tombe qui elles aussi gagnent de proche en proche avec un peu plus d’audace et d’irrévérence à chaque année, dans notre monde occidental ? Aurions-nous si peur de mourir, que nous en serions maintenant réduits à faire de la fin d’une vie humaine un spectacle au cours duquel se multiplient à l’infini les représentations d’une vie après la mort aussi imaginaires qu’illusoires ? En un mot, d’imaginer le défunt en train de poursuivre son activité préférée à loisir pour une éternité bienheureuse, en prenant soin de faire étalage autour de son cercueil des objets rituels ayant servi à ce culte, serait-il devenu une nouvelle façon d’apprivoiser la mort ?
Les thanatologues chargés d’étudier les aspects biologiques et sociologiques de la mort sont confrontés à une nouvelle réalité : les proches du défunt exigent de plus en plus que leur cher disparu soit entouré en chapelle ardente des objets fétiches qu’il vénérait de son vivant. Ainsi, l’un ira à son dernier repos revêtu de son plus beau costume western pour souligner sa passion de l’équitation, la photo de son cheval de même que la selle ayant servi à monter ce dernier trônant fièrement sur le pied de son cercueil, pendant qu’une musique country jouera en sourdine pour recréer l’atmosphère personnelle que le défunt propageait autour de lui en pratiquant son loisir favori. Un autre aura spécifié de son vivant que le rituel relevant de ses croyances religieuses se fasse entre les murs de son club de golf préféré, avec tous les symboles de sa passion étalés autour de sa bière. De même, une telle s’en ira en terre avec sa collection d’objets cultes des Beatles amassée avec un engouement idolâtre tout au long de sa vie. Tartempion, quant à lui, aura précisé dans son testament vouloir être conduit à son dernier repos à bord de sa vieille Cadillac décapotable 1963, et même d’être enterré à son bord, tant il lui vouait un culte dévorant. Et je m’arrête là, parce qu’on pourrait multiplier à l’infini ces exemples d’une dégradation de nos mœurs mortuaires traditionnelles.
Quand les Romains prirent pied en Germanie à la suite de Jules César, ils furent pour le moins étonnés, pour ne pas dire même horrifiés par certains des aspects du rituel funéraire entourant le décès des chefs guerriers barbares. Tout ce qui avait fait partie du quotidien du prestigieux combattant l’accompagnait dans son voyage vers l’au-delà. Non seulement regroupait-on autour de son bûcher funéraire ses casques, boucliers, épées, lances, tenues d’apparat et autres symboles témoignant de sa haute lignée, mais également son cheval de bataille, ainsi que les esclaves de sa suite et jusqu’à sa dernière épouse. Si celle-ci était consentante à donner cette dernière preuve d’amour à son conjoint, au moment d’allumer le bûcher préparé pour la dépouille du trépassé, la veuve était précipitée au milieu des flammes à l’instar du cheval, des esclaves et de tout le reste des possessions du disparu, l’inconsolée ayant le pouvoir d’ouvrir les portes de l’au-delà à son valeureux conjoint. C’est ainsi que ce sanglant sacrifice de caractère religieux pouvait entraîner dans la mort une centaine de malheureuses victimes, à certaines occasions.
Exemple extrême me direz-vous, je vous l’accorde. Néanmoins, Voltaire écrivait : « Si nos peuples nouveaux sont chrétiens à la messe, ils sont païens à l’Opéra. » Serions-nous en train de le devenir également dans nos mœurs funéraires, tant nos rites religieux s’imprègnent de plus en plus à notre insu d’actions impies..? Païens?