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dimanche 28 août 2011

Le sommet de la montagne



Cette montagne était si haute, son sommet culminait à une telle hauteur, qu’il y avait des années que l’homme en avait entrepris graduellement son ascension, dans l’espoir de la vaincre un jour, chaque étape de son escalade l’amenant toujours un peu plus haut que la précédente. Naïvement, il croyait alors qu’il pourrait accomplir cet exploit en comptant sur ses seules forces. Et même que cette ascension serait possible avec un minimum d’efforts, puisqu’il n’avait connu, à venir jusque là, que des difficultés relatives, ce qui rendait l’entreprise d’autant plus possible à ses yeux.
Partisan de l’escalade libre, cette escalade en solitaire dans laquelle le grimpeur utilise les prises et les appuis naturels pour poursuivre sa progression vers le haut, son premier grand revers il l’avait connu ce jour où il avait atteint une petite terrasse ensoleillée se cassant brutalement sur un précipice aux flancs abrupts. Que le vide effrayant autour de ce surplomb rocheux. S’il voulait pouvoir sortir de ce cul-de-sac, il lui fallait franchir d’un bond un passage d’un mètre au-dessus du gouffre, afin d’atteindre l’étroite cheminée taillée dans la paroi rocheuse d’à-côté qui lui permettrait alors de poursuivre son escalade. Une simple enjambée d’un mètre tout au plus, mais entre les deux, un abîme sans fond.
Longtemps notre grimpeur était resté là sur cette minuscule terrasse, essayant de se pencher mais en vain pour atteindre l’autre bord de ce gouffre vertigineux. Mais il n’y avait aucune façon de progresser autre que celle de cette élancée au-dessus du vide. Il avait beau tendre les bras, il demeurait impuissant à se décider à tenter ce grand saut. Et à la fin, accablé par un immense désespoir, il avait dû rebrousser chemin. Force lui avait été de réaliser qu’il ne pourrait poursuivre son ascension vers les sommets par ses seuls moyens. Il n’avait pas la formation requise en alpinisme pour commander à ses nerfs et à sa volonté d’aller plus de l’avant. Pour lui, cette première grande difficulté lui avait révélé la limite de ses forces. Comme l’avait si bien écrit Nietzsche, « celui qui veut apprendre à voler un jour doit d’abord apprendre à se tenir debout, à marcher, à courir, à grimper et à danser; on ne peut pas apprendre à voler en volant. »
Comprenant que le soutien des autres, leurs connaissances, leurs précieux conseils pouvaient faire la différence entre la réussite et la faillite de son projet, l’homme s’était résigné à se plier à une solide discipline d’alpiniste en vue de reprendre son ascension de cette montagne mythique, mais encadré cette fois-ci par des moniteurs bien au fait des innombrables pièges et difficultés de l’alpinisme de haute montagne. L’espérance de survie d’un alpiniste lors d’une ascension périlleuse tenait à la cordée, cette chaîne de grimpeurs attachés l’un à l’autre au niveau de la taille par une corde commune, de façon à ce que chacun de ces ascensionnistes aguerris puissent garantir la sécurité des autres.
Fort de l’expérience de ces grimpeurs de première force, l’homme avait fini par reprendre son escalade des parois abruptes de cette gigantesque élévation, dans l’espoir bien arrêté de s’asseoir un jour sur son pic enneigé. Et ce faisant, il avait appris nombre de vérités de ses compagnons de cordée relativement à la force intérieure requise pour accomplir pareil exploit. Et l’une d’elles était que nul ne peut espérer conquérir le sommet de la montagne, s’il n’en a d’abord la volonté bien arrêtée en lui-même. De même que personne ne peut avancer dans la vie sans risque aucun.
S’astreignant à un entraînement tout de rigueur, il avait encore découvert que c’était dans le renoncement à soi-même que naît la force nécessaire à toute entreprise de grandeur. Avant toute chose, il lui fallait mobiliser en lui ses énergies vives, les regrouper dans une seule et même force d’âme, telle celle des héros cornéliens, s’il voulait progresser dans son ascension vers le sommet. Mais à la fin, cette discipline de vie s’était avérée payante, car après des années d’escalade en vue de se rapprocher toujours plus du but qu’il s’était fixé, la réussite était maintenant en vue. Il avait canalisé en lui, au fil des ans, suffisamment de force tranquille pour envisager sans crainte à présent d’entreprendre la dernière phase de la conquête de ce sommet tant rêvé.
Une ascension des plus périlleuses l’attendait : une vertigineuse muraille verticale dont la cime couronnait au-delà des nuages. Quand il avait examiné dans le détail l’itinéraire risqué qu’il devrait emprunter pour gagner le sommet, il avait constaté que cette paroi abrupte faisait plus de mille mètres de hauteur, et cela sans que jamais l’inclinaison de la pente diminue, sans emplacement de repos aucun sur son parcours, et même sans aucune véritable saillie à laquelle il pourrait s’accrocher des deux mains. Aussi lui faudrait-il entreprendre cette dernière ascension d’un même souffle!
Pendant des heures, notre grimpeur aurait à tâtonner du pied à la recherche de petites anfractuosités glissantes pour trouver un chemin vers le sommet, risquant de perdre l’équilibre au moindre faux mouvement, sans réelles prises pour les mains, son corps plaqué contre la paroi pendant qu’il chercherait à se garantir à tâtons, les reins arc-boutés, ses ongles grattant la roche, suspendu souvent d’une seule main au-dessus de l’abîme. Dans ce cas-ci, il le savait, il était inutile de compter sur l’assurance de la cordée. L’un de ses partenaires d’ascension venait-il à chuter que c’était la plongée vers la mort pour tous. La corde ne serait plus qu’un lien moral d’assurance entre les grimpeurs.
Et pour ajouter encore aux difficultés de l’entreprise, les rangs de ses compagnons d’escalade s’étaient éclaircis avec le passage des ans. Le manque de rigueur chez les uns, d’entraînement chez les autres, ainsi que la tentation du moindre effort devant l’attrait de la facilité qui encroûte la force de caractère, avaient fini par avoir raison des meilleures volontés autour de lui. Si bien qu’il avait dû se rendre à l’évidence qu’il serait désespérément seul pour cette dernière et périlleuse ascension entre toutes.
N’écoutant que son courage, au matin de sa dangereuse escalade, envoûté qu’il était toujours par la démesure de cette gigantesque paroi abrupte, c’était avec la force tranquille d’un homme rompu à toutes les disciplines de l’alpinisme, qu’il s’était élancé à l’assaut de cette muraille menaçante, s’étant fait la promesse à lui-même qu’avant la fin de cette  journée, il se tiendrait debout sur son pic, à la limite des étoiles, avec une perspective de notre monde que bien peu d’hommes avaient contemplée avant lui.
Et au crépuscule de ce jour, fidèle à sa promesse, grâce à sa détermination indéfectible de vaincre à la fois la montagne et ses peurs, l’homme pouvait tranquillement savourer la joie de la victoire remportée. Ce royaume de pics et de cimes enneigées qui s’étalait devant lui avec ses noirs rochers qui pointaient hors des lourdes volutes nuageuses, il en avait payé sa conquête par une vie de discipline rigoureuse. L’excellence et la victoire ne connaissaient pas la facilité. On ne se bousculait pas sur les sommets abrupts de l’élévation. Mais il avait triomphé, et l’âme rassérénée, il riait à présent de ses terreurs et de ses appréhensions des débuts. Aussi, debout pour ainsi dire sur le sommet du monde, seul comme le premier homme au jour de sa création, il criait sa joie à la terre entière.
Il était à l’image du sage qui met une vie pour gravir les échelons de la difficile voie de la sagesse. La connaissance, la raison, le discernement constituent une voie sacrée qu’on ne peut aborder qu’en tête-à-tête, et au prix du renoncement à soi-même. Là où il était parvenu, même s’il était tragiquement seul, notre grimpeur connaissait un état de félicité sans égal. La nuit pouvait bien venir, il s’en moquait. Il ne songeait même pas à redescendre. Jamais plus il n’aurait peur de cette montagne et des obstacles que représentait son ascension. Avant toute chose, il avait réalisé la plus difficile des conquêtes : il avait triomphé de lui-même!

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