Pour laisser un commentaire,

Pour laisser un commentaire, créer un account google à l'adresse www.google.com/accounts/, une fois l'account complètement créé, connectez-vous sur votre account nouvellement créé. Par la suite, aller sur le site http://les-yeux-du-coeur.blogspot.com/ et cliquer sur connection en haut à droite de la page.



dimanche 28 août 2011

Le sommet de la montagne



Cette montagne était si haute, son sommet culminait à une telle hauteur, qu’il y avait des années que l’homme en avait entrepris graduellement son ascension, dans l’espoir de la vaincre un jour, chaque étape de son escalade l’amenant toujours un peu plus haut que la précédente. Naïvement, il croyait alors qu’il pourrait accomplir cet exploit en comptant sur ses seules forces. Et même que cette ascension serait possible avec un minimum d’efforts, puisqu’il n’avait connu, à venir jusque là, que des difficultés relatives, ce qui rendait l’entreprise d’autant plus possible à ses yeux.
Partisan de l’escalade libre, cette escalade en solitaire dans laquelle le grimpeur utilise les prises et les appuis naturels pour poursuivre sa progression vers le haut, son premier grand revers il l’avait connu ce jour où il avait atteint une petite terrasse ensoleillée se cassant brutalement sur un précipice aux flancs abrupts. Que le vide effrayant autour de ce surplomb rocheux. S’il voulait pouvoir sortir de ce cul-de-sac, il lui fallait franchir d’un bond un passage d’un mètre au-dessus du gouffre, afin d’atteindre l’étroite cheminée taillée dans la paroi rocheuse d’à-côté qui lui permettrait alors de poursuivre son escalade. Une simple enjambée d’un mètre tout au plus, mais entre les deux, un abîme sans fond.
Longtemps notre grimpeur était resté là sur cette minuscule terrasse, essayant de se pencher mais en vain pour atteindre l’autre bord de ce gouffre vertigineux. Mais il n’y avait aucune façon de progresser autre que celle de cette élancée au-dessus du vide. Il avait beau tendre les bras, il demeurait impuissant à se décider à tenter ce grand saut. Et à la fin, accablé par un immense désespoir, il avait dû rebrousser chemin. Force lui avait été de réaliser qu’il ne pourrait poursuivre son ascension vers les sommets par ses seuls moyens. Il n’avait pas la formation requise en alpinisme pour commander à ses nerfs et à sa volonté d’aller plus de l’avant. Pour lui, cette première grande difficulté lui avait révélé la limite de ses forces. Comme l’avait si bien écrit Nietzsche, « celui qui veut apprendre à voler un jour doit d’abord apprendre à se tenir debout, à marcher, à courir, à grimper et à danser; on ne peut pas apprendre à voler en volant. »
Comprenant que le soutien des autres, leurs connaissances, leurs précieux conseils pouvaient faire la différence entre la réussite et la faillite de son projet, l’homme s’était résigné à se plier à une solide discipline d’alpiniste en vue de reprendre son ascension de cette montagne mythique, mais encadré cette fois-ci par des moniteurs bien au fait des innombrables pièges et difficultés de l’alpinisme de haute montagne. L’espérance de survie d’un alpiniste lors d’une ascension périlleuse tenait à la cordée, cette chaîne de grimpeurs attachés l’un à l’autre au niveau de la taille par une corde commune, de façon à ce que chacun de ces ascensionnistes aguerris puissent garantir la sécurité des autres.
Fort de l’expérience de ces grimpeurs de première force, l’homme avait fini par reprendre son escalade des parois abruptes de cette gigantesque élévation, dans l’espoir bien arrêté de s’asseoir un jour sur son pic enneigé. Et ce faisant, il avait appris nombre de vérités de ses compagnons de cordée relativement à la force intérieure requise pour accomplir pareil exploit. Et l’une d’elles était que nul ne peut espérer conquérir le sommet de la montagne, s’il n’en a d’abord la volonté bien arrêtée en lui-même. De même que personne ne peut avancer dans la vie sans risque aucun.
S’astreignant à un entraînement tout de rigueur, il avait encore découvert que c’était dans le renoncement à soi-même que naît la force nécessaire à toute entreprise de grandeur. Avant toute chose, il lui fallait mobiliser en lui ses énergies vives, les regrouper dans une seule et même force d’âme, telle celle des héros cornéliens, s’il voulait progresser dans son ascension vers le sommet. Mais à la fin, cette discipline de vie s’était avérée payante, car après des années d’escalade en vue de se rapprocher toujours plus du but qu’il s’était fixé, la réussite était maintenant en vue. Il avait canalisé en lui, au fil des ans, suffisamment de force tranquille pour envisager sans crainte à présent d’entreprendre la dernière phase de la conquête de ce sommet tant rêvé.
Une ascension des plus périlleuses l’attendait : une vertigineuse muraille verticale dont la cime couronnait au-delà des nuages. Quand il avait examiné dans le détail l’itinéraire risqué qu’il devrait emprunter pour gagner le sommet, il avait constaté que cette paroi abrupte faisait plus de mille mètres de hauteur, et cela sans que jamais l’inclinaison de la pente diminue, sans emplacement de repos aucun sur son parcours, et même sans aucune véritable saillie à laquelle il pourrait s’accrocher des deux mains. Aussi lui faudrait-il entreprendre cette dernière ascension d’un même souffle!
Pendant des heures, notre grimpeur aurait à tâtonner du pied à la recherche de petites anfractuosités glissantes pour trouver un chemin vers le sommet, risquant de perdre l’équilibre au moindre faux mouvement, sans réelles prises pour les mains, son corps plaqué contre la paroi pendant qu’il chercherait à se garantir à tâtons, les reins arc-boutés, ses ongles grattant la roche, suspendu souvent d’une seule main au-dessus de l’abîme. Dans ce cas-ci, il le savait, il était inutile de compter sur l’assurance de la cordée. L’un de ses partenaires d’ascension venait-il à chuter que c’était la plongée vers la mort pour tous. La corde ne serait plus qu’un lien moral d’assurance entre les grimpeurs.
Et pour ajouter encore aux difficultés de l’entreprise, les rangs de ses compagnons d’escalade s’étaient éclaircis avec le passage des ans. Le manque de rigueur chez les uns, d’entraînement chez les autres, ainsi que la tentation du moindre effort devant l’attrait de la facilité qui encroûte la force de caractère, avaient fini par avoir raison des meilleures volontés autour de lui. Si bien qu’il avait dû se rendre à l’évidence qu’il serait désespérément seul pour cette dernière et périlleuse ascension entre toutes.
N’écoutant que son courage, au matin de sa dangereuse escalade, envoûté qu’il était toujours par la démesure de cette gigantesque paroi abrupte, c’était avec la force tranquille d’un homme rompu à toutes les disciplines de l’alpinisme, qu’il s’était élancé à l’assaut de cette muraille menaçante, s’étant fait la promesse à lui-même qu’avant la fin de cette  journée, il se tiendrait debout sur son pic, à la limite des étoiles, avec une perspective de notre monde que bien peu d’hommes avaient contemplée avant lui.
Et au crépuscule de ce jour, fidèle à sa promesse, grâce à sa détermination indéfectible de vaincre à la fois la montagne et ses peurs, l’homme pouvait tranquillement savourer la joie de la victoire remportée. Ce royaume de pics et de cimes enneigées qui s’étalait devant lui avec ses noirs rochers qui pointaient hors des lourdes volutes nuageuses, il en avait payé sa conquête par une vie de discipline rigoureuse. L’excellence et la victoire ne connaissaient pas la facilité. On ne se bousculait pas sur les sommets abrupts de l’élévation. Mais il avait triomphé, et l’âme rassérénée, il riait à présent de ses terreurs et de ses appréhensions des débuts. Aussi, debout pour ainsi dire sur le sommet du monde, seul comme le premier homme au jour de sa création, il criait sa joie à la terre entière.
Il était à l’image du sage qui met une vie pour gravir les échelons de la difficile voie de la sagesse. La connaissance, la raison, le discernement constituent une voie sacrée qu’on ne peut aborder qu’en tête-à-tête, et au prix du renoncement à soi-même. Là où il était parvenu, même s’il était tragiquement seul, notre grimpeur connaissait un état de félicité sans égal. La nuit pouvait bien venir, il s’en moquait. Il ne songeait même pas à redescendre. Jamais plus il n’aurait peur de cette montagne et des obstacles que représentait son ascension. Avant toute chose, il avait réalisé la plus difficile des conquêtes : il avait triomphé de lui-même!

mercredi 24 août 2011

Si tous les gars du monde




Mis en film par Christian-Jaque en 1955, cette magnifique histoire de solidarité internationale, de fraternité et de tolérance, a surtout relancé en pleine guerre froide le grand rêve d’une paix et d’une fraternité mondiale possible. Un hymne aux hommes de bonne volonté qui est resté un film mythique pour tous ceux qui l’ont vu.
Près de soixante ans plus tard, même si la paix entre les hommes demeure toujours fragile, en raison notamment d’une montée de l’intolérance et de la menace terroriste qui excitent bien des passions et bien des haines, l’unité et la fraternité entre les peuples gagnent en progrès. Comme le disait si bien Bossuet, « Dieu a établi la fraternité des hommes en les faisant tous naître d’un seul. »
À plus forte raison, si nous avons le même ancêtre comme père, cela implique que nous sommes tous frères et sœurs. Cette grande famille humaine a beau être éparpillée aux quatre coins du monde, il n’en reste pas moins que c’est notre famille. Et qui dit famille, dit obligations. Ainsi, comme tout milieu familial qui se respecte, nous avons le devoir de veiller les uns sur les autres, et en particulier sur les plus faibles.
Bien sûr, nombre de programmes d’aide ont été mis en place par la communauté internationale pour porter assistance aux plus démunis d’entre nous. À eux seuls, les organismes non gouvernementaux d’intérêt public ou humanitaire se comptent par milliers en ce monde.  Et heureusement qu’il en est ainsi, car les besoins de nos frères qui ont été moins favorisés à la naissance aux seuls plans de l’éducation, de la santé et de la répartition des richesses, sont absolument effarants.
La disette d’eau et de vivres dans certaines régions du monde est à l’état endémique, et certaines années où la sécheresse se fait plus cruelle, elle tourne carrément à la famine. Et les choses n’iront pas en s’améliorant dans le futur pour ces lieux défavorisés par le manque d’humidité, avec une Terre promise à une aridité, une sécheresse et une désolation dont rien ne peut donner l’idée. Suite à l’insuffisance de précipitations qu’occasionne le dérèglement climatique dans certaines parties de notre globe, l’humanité aura peut-être à déplacer et à relocaliser des populations entières d’ici peu. Les sommes d’argent consenties à pareil effort seront absolument gigantesques.
Et comme cet état de choses risque de perdurer pendant des décennies et même s’aggraver, pourquoi ne pas créer dès maintenant un fond de solidarité universel, en soutien à nos frères dans le malheur? Un genre d’impôt ou de taxe équitable qui serait prélevé à même les revenus des travailleurs de ce monde vivant au-dessus du seuil de la pauvreté, et ce une fois l’an, lors de la perception des arrérages de l’impôt par nos gouvernements au pouvoir. Oh! rien de douloureux, l’équivalent de un dollar par mois pour chacun d’entre nous. Un déboursé total de douze dollars par année par travailleur.
Notre Terre a franchi le cap dernièrement des sept milliards d’habitants. Dans quinze ans d’ici, on estime que ce chiffre passera à huit milliards. Peut-on estimer, sans trop de risques de se tromper, que notre monde doit bien compter au moins deux milliards d’honnêtes travailleurs suffisamment nantis pour pouvoir survivre à cette ponction de douze malheureux dollars sur leurs revenus annuels?
Imaginons un instant, en faisant un simple exercice de mathématique, ce que ces douze dollars par tête deviendraient une fois multipliés par deux milliards d’individus. Vingt-quatre milliards de dollars par année! La contribution des travailleurs de ce monde à leurs frères dans le malheur. Vingt-quatre milliards qui viendraient s’ajouter au fond d’aide humanitaire de tous les organismes gouvernementaux et autres O.N.G. d’intérêt public de cette « Terre des hommes ». Utopique comme idée, irréalisable, dépourvue de tout réalisme? Si en temps de guerre on parvient à mobiliser des millions d’hommes pour tuer leurs semblables, serait-il plus difficile de les recruter cette fois-ci pour porter secours à ceux de leurs frères menacés d’extinction?
Bien sur, je peux imaginer sans peine les réticences à pareil projet, les objections soulevées pour en entraver la bonne marche, l’immensité des efforts consentis pour rallier tous les pays du monde derrière pareil mouvement d’entraide, le coût pour mettre en place un système de prélèvement des argents cotisés idéalement uniforme pour tous, la complexité de la bonne gérance d’un pareil fond international de solidarité, etc. etc. Je ne suis qu’un pauvre homme sans aucun poids politique et dénué de toute forme d’influence dans son milieu de vie. Aussi cette idée ne risque guère de dépasser le stade des bonnes intentions, si personne ne récupère la balle au rebond. Mais d’habiles tribuns de nos plus importantes O.N.G. pénétrés de l’importance du projet pourraient, à titre d’exemple, en parrainer le développement auprès des gouvernements de notre monde, en sensibiliser notamment les politiciens les plus influents. Et le même travail promotionnel pourrait être entrepris auprès de nos diverses Églises et confessions religieuses, afin d’obtenir l’appui de celles-ci au projet. Bref, comme le dit si bien l’adage, à cœur vaillant rien d’impossible.
Cela ne laisse-t-il pas rêveur? Cela n’est-il pas prometteur de lendemains moins sombres pour les laissés-pour-compte de cette Terre? En revanche, si rien n’est fait, si nous nous contentons, à l’instar de l’autruche, de nous enfouir la tête dans le sable en espérant que ces malheurs passent loin de nous, le choc de ces désastres annoncés ne sera que plus douloureux quand nous aurons à faire face au tragique de ces événements. Nous ne disposerons alors d’aucune véritable réserve au plan monétaire pour pallier à l’urgence de ces crises. Et les coûts astronomiques de ces opérations d’entraide seront si ruineux pour les gouvernements en place, que ceux-ci n’auront d’autre choix que d’en refiler la facture à chacun d’entre nous.
Dans toutes les sphères de l’activité humaine, c’est parce que des hommes ont rêvé à un monde meilleur pour eux et leurs semblables, que les choses ont commencé à changer. Peut-être serait-il temps, maintenant que ce monde meilleur est en voie de réalisation, qu’il le soit aussi pour les plus défavorisés de nos frères marqués périodiquement par le malheur. Après tout, ces malheureux n’ont pas demandé à venir au monde dans des lieux aussi désertés par la vie.

samedi 20 août 2011

Les quatre cavaliers de l’Apocalypse




Des cavaliers approchaient au grand galop, cela l’homme en avait la certitude. Même s’il ne pouvait pas les voir encore, en raison des exhalaison sulfureuses qui s’élevaient dans la demi ténèbre d’un ciel bas et lourd aux reflets rougeoyants rappelant l’enfer lui-même, il pouvait entendre le battement saccadé des sabots de leurs montures. Et soudain, ils étaient là, comme surgis de nulle part au milieu des traînées de vapeurs de souffre qui emplissaient l’air, lançant vers le ciel d’affreux hurlements. Paralysé de terreur, incapable d’un geste pour déguerpir de là, l’homme les regardait arriver dans leur chevauchée fantastique, pareils à un vol d’esprits errants s’abattant sur terre avec fracas.
Le premier spectre était un cheval pâle monté par un cavalier dont les vêtements blancs se confondaient d’une façon quasi parfaite avec le pelage de sa monture. Projetant l’image du guerrier triomphant, il brandissait arc et carquois avec ostentation et arborait une couronne hérissée de vipères prêtes à mordre dressées sur leur queue. À l’évidence ce cavalier fonçait droit devant lui dans un seul but, celui de la victoire, et sa couronne n’en était pas une de royauté, mais de conquérant victorieux, paraissant l’incarnation même du fléau de la guerre maquillé sous des airs de vertu.
Le second cavalier, casqué et bardé de fer, chevauchait un étalon rouge feu et il agitait de façon menaçante une grande épée dans un fracas de tonnerre, comme s’il avait pour mission infernale de bannir la paix hors de la terre et de faire qu’on s’entr’égorgeât.
La troisième apparition effrayante était celle d’un cheval noir monté par un homme funèbre dont le drapé sombre de son ample manteau le faisait pratiquement se mélanger lui aussi à la robe de sa monture. Disparaissant presque dans les plis de son vêtement tant il était d’une maigreur effroyable, l’horrible épouvantail tenait une balance, comme pour rappeler l’injustice qui est faite aux pauvres de ce monde. Un monde dans lequel la norme en vigueur depuis toujours est de deux poids deux mesures : l’abondance pour les uns, la disette pour les autres, et même la famine.
Le quatrième spectre, drapé d’un débris de vêtement à larges manches flottantes qui ne cachait rien de son corps et de ses bras squelettiques, chevauchait un cheval d’aspect verdâtre qui s’appariait en tout point avec son affreuse tête de mort ceinte de lauriers. Brandissant la faux de la Mort, l’Hadès le suivait, et il semblait résumer en lui les désordres de ses trois autres funestes compagnons, comme s’il avait le pouvoir en ce monde d’exterminer par l’épée, par la faim, la peste et les menées guerrières des fauves de cette terre.
Arrivée à la hauteur de l’homme, les sinistres cavaliers de cette cavalcade de l’enfer avaient poussé un dernier cri horrible, puis s’étaient scindés en quatre, chacun d’entre eux poursuivant sa route dans une direction couvrant les quatre points cardinaux. C’était à ce moment précis que l’individu s’était réveillé en sursaut, si terrorisé par l’affreux cauchemar qu’il venait de vivre ainsi au beau milieu de la nuit, qu’il avait été incapable par la suite de retrouver le sommeil.
Comme il vivait seul, ce n’était qu’au matin, en faisant un crochet par la cafétéria de l’établissement où il travaillait, histoire d’y ingurgiter en vitesse son premier café du jour, que notre homme avait pu raconter les péripéties de son mauvais rêve à une compagne de travail reconnue pour la diversité de sa culture. Selon cette femme, les quatre cavaliers de cette chevauchée fantastique préfiguraient l’Apocalypse de l’apôtre Jean l’Évangéliste, le dernier livre de la Bible. Mais ce n’était pas une interprétation facile, à ses dires.
Le premier cavalier était l’imposteur, vêtu de blanc à dessein et chevauchant un cheval de couleur identique pour mieux tromper les hommes de cette terre quant à la pureté de ses intentions. L’arc qu’il brandissait était une arme de combat qui pouvait symboliser le désir de la victoire, la guerre d’hégémonie, le pouvoir, l’autorité, la domination souveraine. Sa couronne était celle des rois, des hauts personnages de ce monde, des grands conquérants de l’Histoire, des politiciens tout-puissants, premiers responsables du fléau de la guerre et de son cortège effroyable de malheurs. Certains auteurs de commentaire voyaient même dans ce cavalier couronné, la Bête, l’Antéchrist, cet ennemi implacable du Christ qui viendra répandre l’erreur sur terre et conduire les chrétiens à faire acte d’apostasie, un peu avant la fin du monde.
Pour d’autres, ce cavalier représentait l’homme impie, conquérant implacable de ce monde dans tous les champs de l’activité humaine, fort de la toute-puissance de son haut savoir, de ses réalisations et de sa domination incontestée sur les êtres et les éléments de cette terre. Dans nombre de domaines, cet homme irréligieux avait déjà la prétention d’occuper la chaire de Dieu et même de se substituer à Lui. Ce qui faisait dire encore à certains autres commentateurs que l’Antéchrist et son appareil de tromperies était déjà parmi nous, abusant, dupant, leurrant, mystifiant, et que les tremblements de terre, les guerres, les famines, les faux prophètes et les persécutions sans nombre qui déferlaient sur l’humanité, n’étaient que la manifestation de son implacable action de sape parmi les hommes, l’annonce que la fin était déjà en marche et qu’elle apporterait avec elle la terreur au monde.
Le deuxième, le troisième et le quatrième cavalier qui travaillaient à l’unisson avec le premier n’étaient pour ainsi dire que l’illustration du cortège de fléaux que l’homme dénué de morale et fort de la toute-puissance de son bras armé propageait dans son sillage de mort.
Pour le moins incrédule, le seul commentaire que notre rêveur avait trouvé à formuler, en réponse aux généreuses explications de sa collègue de travail, avait été cette réflexion bête: « Heureusement que tout ça, c’est juste des visions! Tu parles d’un rêve de fou! »
Ce jour même, les journaux titraient que 12,4 millions de personnes dans la Corne de l’Afrique étaient touchées par la pire sécheresse des dernières décennies, et que des dizaines de milliers d’entre elles avaient déjà péri. Et pendant ce temps, notre monde connaissait lui aussi la sécheresse au plan économique, risquant même d’entrer dans une nouvelle période de récession.
Ce même jour encore, les journaux publiaient que parallèlement à cette famine, une épidémie de choléra se répandait de façon alarmante sur toute cette région de l’Afrique, dû en grande partie aux mouvements de population à la recherche de nourriture, d’eau et de secours, ce alors que le Sida, en constante progression, menaçait déjà de son côté de décimer nombre de pays du continent africain.
Toujours ce même jour, les journaux écrivaient que la rébellion armée et les affrontements meurtriers s’intensifiaient un peu partout au Moyen-Orient et en Afghanistan, entraînant toujours plus de chaos et d’insécurité au sein de leurs populations, et contribuant toujours plus à insécuriser notre monde déjà passablement secoué par les nombreuses menaces environnementales découlant d’un climat déréglé.
Ce jour même une fois de plus, les journaux titraient que le réchauffement planétaire et ses conséquences dramatiques au plan alimentaire risquait de provoquer la migration de dizaines de millions de personnes d’ici la fin du siècle, augmentant d’autant les risques de conflits armés pour la possession de terres arables. Dans le même ordre d’idées, la hausse du niveau des océans occasionnée par la fonte des glaces submergerait dans un proche avenir des centaines de milliers de kilomètres de terres côtières, forçant un nombre grandissant de populations à la relocalisation.
Ce même jour enfin, les journaux donnaient à entendre que l’homme, suite aux progrès de la science dans ses recherches toujours plus poussées pour comprendre le complexe processus du vieillissement humain et en contrer ses effets, pouvait entrevoir une forme d’immortalité avant la fin du millénaire en cours.
Mais de tous ces faits troublants, notre rêveur indolent ne saurait rien. Suivant son habitude, lors de sa pause lunch du midi, il jetait bien un coup d’œil sur le journal du jour. Mais son intérêt pour les événements marquants de ce monde ne dépassait pas celui de la rubrique des chiens écrasés et des nouvelles du sport!

mardi 16 août 2011

Le vieil homme et la mer


               
                                   

Le verdict médical à son endroit était formel : le vieil homme allait mourir au cours des mois à venir. Non pas qu’il était décompté en raison de son âge- il venait à peine de doubler le cap de la septantaine-, mais bien plutôt parce qu’il était atteint d’un mal incurable. Comme il était veuf depuis quelques années déjà, et qu’il ne laissait personne derrière lui hormis ses deux filles qui vivaient par ailleurs à l’étranger avec époux et enfants, l’homme avait décidé de profiter des derniers mois de son existence pour se livrer à une sorte d’introspection de sa vie passée, afin si possible d’en dresser le bilan.
Mais comme il habitait dans une confortable résidence de banlieue, et qu’il trouvait que ce n’était peut-être pas le lieu par excellence pour se livrer à pareille analyse, en raison notamment de l’achalandage des voisins et amis, il troquait sa maison pour un petit bungalow perdu de la côte atlantique, sans véritable confort et tout juste acceptable comme lieu de résidence temporaire. Pour citer Colette dans le texte, « il n’avait songé qu’à une chose : posséder une retraite dont la porte s’ouvrirait, se refermerait pour lui seul, sur un lieu ignoré. »
Accompagné de ses seuls chats et chien- deux matous avancés en âge et une jeune femelle Labrador-, il avait donc secrètement élu domicile dans ce lieu perdu de bordure de mer. Et là, jour après jour, face à l’immensité de cet océan sur lequel il laissait courir son regard sans le voir pendant des heures, perdu qu’il était dans ses pensées, le vieil homme faisait d’abord le bilan de ce qu’avait été sa vie effective au cours de toutes ces années.
Au plan amoureux, jamais, aussi loin qu’il pouvoir remonter dans ses souvenirs, il n’avait senti le délirant mystère de l’amour s’accomplir dans sa vie de couple. Et comme il était demeuré relativement chaste avant son mariage, hormis quelques petites explorations de la « chose » qui n’avaient jamais été bien loin, son expérience de l’amour au plan physique se limitait pour ainsi dire à un vague idéal. Alors que partout autour de lui on vantait les délices éprouvés par les amants au soir de leur nuit nuptiale, cette fusion issue de l’appel de la chair qui semble-t-il faisait s’émouvoir jusqu’au lit des nouveaux époux soulevé comme par une mer agitée, le vieil homme ne se rappelait pas avoir connu pareille effusion de cœur et des sens.
Que s’était-il passé par la suite, le jeune amant d’alors n’en avait guère gardé de souvenir. Mais ce dont il était sûr en revanche, c’est qu’au cours des mois et des années qui avaient suivi cette première nuit de noces, les choses ne s’étaient guère améliorées entre eux  au plan de l’amour charnel. Inconnus à leur registre amoureux ces enlacements sans fin et ces caresses voluptueuses qui forment le sel d’une vie de couple. Comme il ne se souvenait pas également d’avoir vécu de ces tendres moments d’abandon, les bras jetés spontanément autour du cou et les lèvres fusionnées dans un même élan instinctif. Jamais non plus de « Je t’aime! » lâché entre eux dans l’attendrissement du moment, comme s’il avait été déplacé de se laisser aller à pareil élan du cœur, voire même inconvenant.
Si bien qu’après la naissance de leurs deux filles, les époux ne sacrifiaient plus sur l’autel de l’amour qu’avec une sorte de désaffection qui avait révélé au mari, demeuré toujours par ailleurs le premier admirateur des charmes de sa femme, que celle-ci ne se donnait plus à lui qu’avec indifférence, voire même par pur devoir conjugal. Les mois de disette et de carence affective se prolongeant toujours plus avec le passage des ans, un beau jour, au lever du lit, le mari tenu à distance avait perçu chez sa femme un regard morne, ennuyé, dont le détachement  l’avait saisi : elle était lasse de ses attentes. Oh! elle l’aimait toujours, bien sûr, et cela elle lui en donnait des preuves quotidiennes, mais le lit deviendrait désormais un no man’s land entre eux. Et il en avait été ainsi jusqu’à ce jour triste de décembre d’il y dix ans, où il avait plu à Dieu de rappeler l’inaccessible épouse en son Paradis.
Était-il amer de ce constat mitigé du bilan de sa vie amoureuse, le vieil époux n’en savait trop rien. Ce qu’il savait, en revanche, c’est qu’il n’avait pas senti le besoin de remplacer dans son cœur celle avec qui il avait partagé plus de trente-cinq ans de sa vie. Même s’il avait mis des années avant de le comprendre, il était bien conscient maintenant que personne en ce monde n’était le complément parfait d’un autre. Aucun être n’avait été créé en fonction du bon plaisir d’un semblable. Les besoins de l’un, de même que ses goûts et ses aspirations au sein d’un couple, n’étaient pas nécessairement ceux de son partenaire de vie.
Aussi, alors que les jours passaient et que le temps lui était de plus en plus décompté, le vieil ermite avait préféré s’attarder au bilan de ce qu’il avait plutôt retenu et compris des enseignements de son passage ici-bas. Même s’il avait bien conscience que chaque homme de ce monde était tragiquement seul dans sa quête silencieuse de vérité face à l’éphémère, face à cette vie dénuée de sens qui lui échappait, il ne partageait pas le désarroi résigné du plus grand nombre de ses pareils sur ce plan. Pas de cruel questionnement chez lui devant la fatalité de la mort qui se pointait à l’horizon. Pas de résignation triste non plus comme tant d’autres devant les regrets de leur vie passée. Il ne connaissait pas cette douloureuse impression d’avoir passé tout droit au cours de cette existence, à l’instar de tant de gens autour de lui qui avaient la certitude de n’avoir rien accompli de valable. Au contraire, il croyait sincèrement avoir essayé de faire de sa vie quelque chose de rentable pour ses semblables.  
À l’inverse de tant d’hommes qui étaient assurés après leur mort de ne laisser aucune trace de leur séjour ici-bas, le vieil homme n’avait jamais perdu foi en son destin, foi en la pertinence du modeste rôle qu’il avait joué en cette vie, foi envers les valeurs qui l’avaient toujours aidé à vivre. Il était de ces fidèles qui n’avaient jamais déserté leur Dieu dans ses lieux de culte, parce qu’ils ne l’avaient pas déserté en eux-mêmes. Appliquant cet adage que nul n’est un grand personnage pour son valet de chambre, il se savait tout petit sous le regard de son Créateur, bien négligeable, bien dérisoire, mais infiniment aimé. Et c’était cette foi inébranlable en un Dieu d’amour tout de miséricorde et de compassion à l’égard des manquements de ses enfants qui l’avait empêché d’être pris dans cette espèce de gangue de démission fataliste qui faisait se détourner tant d’hommes de l’espérance d’une survie heureuse après leur mort.
Une de ses grandes qualités étant d’être plein de compassion à l’égard des autres, l’heureux homme s’était efforcé de ne pas porté de jugement sur toutes ces grappes d’égoïstes et de faibles de cœur qui s’agitaient sans fin autour de lui, enfermés dans un monde de conformisme sclérosant où le gros de leur énergie était consacré à leur réussite sociale et financière. La cupidité, l’âpreté du gain, la passion d’acquérir qui absorbe la vie et dessèche l’âme en tuant tout autre désir en l’homme, n’avaient pas trouvé preneur en lui. Ce monde où chacun ne vit que pour sa petite personne, dans l’indifférence et la surdité volontaire à toute élévation au milieu de cercles fermés restreints à ses seuls proches et connaissances, et où la règle est de profiter de tout et vite, pas demain, aujourd’hui, maintenant, il s’en était carrément détaché, vivant au milieu de la fascination générale sans se laisser fasciner.
Si la plupart des êtres de ce monde se contentent d’une existence bête à pleurer, cela n’avait pas été le cas pour cet homme plein de sagesse. Cette vie, il l’avait fouillée, scrutée, sondée en tout sens, dans la mesure de ses humbles connaissances, et il avait tout mis en œuvre pour essayer de faire avancer les choses à son échelle, en particulier dans son milieu de travail, à titre de géographe spécialisé dans l’aménagement du territoire.
Peu lui importait à présent, à l’heure du bilan de son existence, de ne pas avoir connu autant d’ivresse sentimentale et sensuelle qu’il l’aurait souhaitée, avec sa compagne de vie. L’important à ses yeux, c’est que lui avait aimé pour deux. Il allait bientôt mourir, et il avait demandé à ce que ses cendres soient jetées dans la mer. Un milliard d’années plus tôt, la vie était née de l’océan, née de ce qui était au départ l’agglomération de simples gouttelettes d’eau. Lui-même n’était qu’une goutte d’eau dans cet océan, mais à ce titre il avait bien joué son rôle. Il avait reçu la vie, l’avait transmise à son tour, puis avait veillé à la propager enrichie autour de lui. Encore un peu de temps maintenant, et il allait retourner à cet océan mère d’où il était issu. Son cycle de vie serait alors complété.
Quant à son esprit, un autre océan l’attendait, mais de félicité celui-là. Cette vérité, le vieil homme s’en était pénétré depuis toujours. Aussi mourrait-il sans crainte.

samedi 13 août 2011

Une culture de la mort

                       

Il y a quelque temps, en ouvrant mon journal du matin, une nouvelle me faisait sursauter : une fillette kamikaze de 9 ans avait été arrêtée au Pakistan, bardée d’explosifs alors qu’elle s’apprêtait à commettre un attentat suicide à un barrage policier. Une écolière innocente qui avait peur, et à qui on avait dit d’appuyer sur le bouton lorsqu’elle serait près des policiers. Semble-t-il qu’on l’avait enlevée quelques jours plus tôt, spécifiquement pour lui confier cette funeste mission. Cas unique, pensez-vous, que cette enfant transformée en bombe humaine, hormis bien sûr tous ces autres adolescents que les extrémistes musulmans ne semblent avoir aucun scrupule à utiliser à des fins d’attentat suicide?   
Je laisse la parole au peintre pakistanais Iqbal Hussein qui faisait l’objet d’un reportage récent dans le magazine GEO. Contemplant son pays devenu fou, il disait : «Je ne comprends pas ces familles qui envoient leurs petits garçons dans des madrasas. On se retrouve avec des gamins qui veulent se faire exploser! C’est désespérant, dans les zones tribales, ils font la queue pour devenir kamikazes.»
Si toute cette terreur prend sa source dans ces madrasas, ces multitudes d’écoles coraniques fréquentées par des enfants à l’âge le plus tendre- plus de 14 000 madrasas au Pakistan seulement-, quelle effrayante culture de mort peut-on bien inculquer à ces jeunes écoliers dans ces établissement d’enseignement religieux, pour arriver à obtenir d’eux pareil volontariat pour l’abattoir? Comment peut-il être possible, à moins d’être complètement fanatisés ou pervertis par une lecture incomprise du Coran, d’avoir la monstrueuse idée de transformer de jeunes vies innocentes en bombes humaines, sous le prétexte suranné de djihad, de guerre sainte, ce déferlement ininterrompu d’attentats sanglants et de coups de main meurtriers que des intégristes assassins mènent un peut partout à travers le monde, mais plus spécifiquement en Orient, et auxquels ils ont encore la prétention de prêter des vertus de sainteté, sous prétexte que cette boucherie est conduite au nom de l’islam?
Comme s’il pouvait y avoir de la grandeur dans la guerre, comme si le fait de croire en la sainteté d’une chose pour l’homme en faisait automatiquement une chose sainte… Pauvre Allah, que l’on qualifie encore de « Miséricordieux », comme il doit être peiné de voir toutes les abominations que l’on commet en son nom…
La question que je me pose est la suivante : Y aurait-il deux islam? L’un moderne, ouvert à l’Occident et désireux d’échanger ses vues avec lui sous la gouverne de ses milliers de docteurs en jurisprudence islamique, théologiens, imans, chefs religieux et érudits de grand renom, et l’autre, resté pris pour ainsi dire dans une sorte de trou noir du temps, toujours à prodiguer dans les écoles coraniques des zones tribales le même enseignement religieux démuni de matières non islamiques qu’au cours des siècles passés, sous la direction de mollahs traditionalistes si peu ouverts à la culture, aux idées nouvelles et aux changements sociaux, qu’ils considèrent la musique comme un sacrilège?
Qu’en est-il exactement de ces madrasas et de l’enseignement qu’on y prodigue? Certaines, en zones de conflits, sont si endoctrinées par leurs enseignants, qu’on les compare à des repaires de terroristes, des universités de l’attentat suicide. Les enseignants de ces écoles coraniques sont si habitués à endoctriner, qu’un étudiant qui remet en question les anciens préceptes est jugé irrespectueux à l’égard de ses professeurs. Sans interaction ni débat entre élèves et enseignants, n’est-ce pas une aberration, à l’époque où l’on vit? La vérité ne se fraie-t-elle pas péniblement un chemin à travers le choc des idées?
John Stuart Mill, dans son essai « De la liberté », écrivait : « Le despotisme de la coutume est partout l’obstacle qui défie le progrès humain, […] C’est le cas de tout l’Orient. La coutume est là, souverain arbitre de toutes choses : justice et droit signifient conformité à la coutume; […] Et nous en voyons le résultat. Ces nations doivent avoir eu autrefois de l’originalité; elles ne sont pas sorties de terre peuplées, lettrées, et profondément versées dans de nombreux arts de vivre; sous tous ces rapports, elles se sont faites elles-mêmes, et elles étaient alors les plus grandes et les plus puissantes nations du monde. Que sont-elles maintenant? Elles sont asservies à des tribus dont les ancêtres erraient dans les forêts, tandis que les leurs avaient de magnifiques palais et des temples fastueux, à une époque où la coutume se départageait le pouvoir avec la liberté et le progrès. »
Et plus loin, Mill écrit encore : « L’idée qu’il est du devoir d’un homme de veiller à ce qu’un autre soit religieux est la cause de toutes les persécutions religieuses jamais perpétrées; […] C’est une détermination à ne pas tolérer que les autres fassent ce que leur permet leur religion, et cela parce que ce n’est pas permis par la religion du persécuteur. C’est croire que non seulement Dieu déteste l’acte du mécréant, mais qu’il ne nous tiendra pas non plus pour innocents si nous le laissons agir en paix. » N’est-ce pas le cas des talibans dont les croyances sont aussi rétrogrades que trompeuses pour tous ceux qu’ils parviennent à endoctriner? Et le peuple afghan qui a si souffert des abus de leur régime despotique n’est-il pas sans cesse menacé de retourner sous leur férule tyrannique, pour peu que l’Occident baisse les bras devant la guerre « sainte » que ces fondamentalistes mènent en Afghanistan pour reprendre le contrôle de la vie des leurs, les protéger des dangereux artifices de notre monde d’« infidèles » ?
Preuve que certaines madrasas peuvent bien être qualifiées « d’usines à djihad », notamment au Pakistan, le mollah Omar, chef suprême des talibans, ne s’est-il pas vu décerné un diplôme honoris causa par les chefs religieux d’une madrasa tentaculaire de plus de 3 000 étudiants située non loin de la frontière afghane?
L’islam est malade. S’il ne se libère pas des préjugés d’un grand nombre de ses fils à l’égard des valeurs de l’Occident, préjugés entretenus par ses propres leaders politiques et religieux qui les informent mal ou négligent de le faire, il continuera de faire l’objet de suspicion à son égard de la part des occidentaux. S’il ne suscite pas la renaissance de l’éducation islamique en profondeur, afin que dans un proche avenir cessent des horreurs comme l’attentat suicide du World Trade Center commis à l’endroit d’innocentes victimes, ou plus près de nous dans le temps, cet autre acte du genre non moins horrifiant de décembre 2010 perpétré dans un district tribal frontalier de l’Afghanistan, alors qu’une kamikaze vêtue d’une burqa tuait 43 personnes à un point de distribution d’aide alimentaire de l’ONU, son image demeurera ternie aux yeux des autres confessions de notre monde.
Permettez-moi, avant de conclure, de formuler un souhait à votre égard, fils et filles de l’Islam. Je voudrais qu’en vous voyant vivre, les gens puissent dire : Voyez comme ils s’aiment malgré leurs divisions, voyez leur bonheur paisible. Qu’il y ait dans votre langage plein de vérité et de grandeur, qu’il soit fort, apaisant, respectueux et rempli d’ouverture envers les autres, principalement ceux qui ne partagent pas forcément vos croyances.
S’il est vrai qu’on reconnaît l’arbre à ses fruits, je voudrais encore, en vous regardant, qu’on puisse voir en vous les fruits de l’Esprit, et non ceux de la déraison et de la mort, comme c’est trop souvent le cas depuis nombre d’années. Je voudrais voir dans l’Islam, à l’instar du catholicisme sous Jean-Paul II, un nouveau leader mondial de la paix, de l’amour et de la réconciliation entre les hommes.
Al hamdoulillah! Allah soit loué!
Mais faites vite, car pendant ce temps, le sang ne cesse jamais de couler…

lundi 8 août 2011

Vous êtes pas tannés de mourir, bande de caves?



En 1970, sur la murale d’entrée du Grand Théâtre de Québec consacré aux arts de la scène et du spectacle, l’artiste sculpteur Jordi Bonnet gravait cette phrase choc du poète Claude Péloquin : « Vous êtes pas tannés de mourir, bandes de caves? C’est assez! » Lors de l’inauguration du complexe théâtral par les autorités responsables de l’époque, ces mots provoquaient un véritable scandale pour nombre de Québécois, certains allant jusqu’à réclamer de faire disparaître un tel affront à la grande culture.
Ces mots sont durs, il faut en convenir, et plusieurs ont disserté longuement sur les intentions du poète, en écrivant pareille provocation. On parlait alors de l’apathie des Québécois qui, pour certains, tardaient à assumer leur indépendance politique pour jouer enfin leur rôle véritable dans le monde. Bref, cette apostrophe était destinée, semble-t-il, à faire office d’électrochoc pour le peuple. Une sorte de prise de conscience de son apathie face à son destin. Ou si on aime mieux, un coup de théâtre destiné à le tirer enfin de sa torpeur.
Et si on appliquait ces mots choc de « bandes de caves » à chacun d’entre nous, à l’échelle de notre monde dangereusement déshumanisé? Ne sommes-nous pas tannés de mourir à nous-mêmes, morts de toutes ces grandeurs refoulées en nous au profit de cette soif éternelle du mauvais riche toujours plus tyrannisante dans son avidité insatiable d’argent, de biens matériels, d’honneurs et de positions sociales si souvent obtenues par des moyens peu délicats?
Ne sommes-nous pas tannés de mourir avec ce masque perpétuellement accroché au visage pour mieux dissimuler nos aliénations de cœur, nos dépravations d’idées, de goûts et d’habitudes, sans cesse sur le penchant de notre ruine, morts de nos existences sans remords, de nos aspirations piétinées par l’égoïsme, l’apathie, l’indifférence, et étouffées encore par toutes nos craintes de se retrouver en manque qui nous font engranger toujours plus de richesses périssables au détriment des véritables trésors du cœur qui ouvrent les portes du Ciel?
Ne sommes-nous pas tannés de mourir, de courir tout droit à notre perte, tel ce vaisseau à la dérive poussé par un vent mauvais qui fonce droit vers les écueils de la côte sous l’impulsion d’un compas faussé, engloutis que nous sommes par le cloaque de nos mœurs? Ne sommes-nous pas tannés de toutes nos morts et fermetures à tout ce qui relève de l’esprit de grandeur en nous, par faute de n’avoir d’autre fin que de sacrifier aux jouissances des sens, n’ayant aucun scrupule à laisser la tyrannie de la chair s’installer à demeure en nous et y régner en maître absolu?
Ne sommes-nous pas tannés de mourir fermés à la sagesse des sages, d’être de ces animaux de gloire qui ne vivent que pour occuper les autres d’eux-mêmes, pour se faire un nom, une position, prétentieux, vaniteux, orgueilleux et sensuels à souhait dans nos actions comme dans nos pensées, esclaves de nos intérêts et de nos passions, prompts à la critique et à la condamnation des autres sans voir l’immensité de nos propres manquements, affectant la vérité, la sincérité et la noblesse de sentiments alors que nous sommes les premiers à se conformer à des modes et usages que notre conscience désavoue, tant nous sommes esclaves du respect humain? 
Ne sommes-nous pas tannés de mourir, faux à l’égard de nous-mêmes, faux à l’égard de Dieu et de notre prochain, ayant tout vu, sachant tout, se suffisant en tout, présomptueux, tranchants, hautains, rampants devant le fort, implacables à l’égard du faible, usant et abusant de la vie comme si nous en étions les maîtres absolus, maîtres irresponsables et despotes fermés à la raison et peinant sans fin dans nos ténèbres obscures à discerner le vrai du faux, tant notre conscience est faussée?
Enfin, ne sommes-nous pas carrément tannés d’accepter cette mort née de la division homicide entre les hommes et qui a fait du genre humain le tombeau de l’erreur et du vice, transformé notre paradis originel en une vallée de larmes? Ignorant Dieu et nous ignorant nous-mêmes, toute notre vie durant nous cherchons en vain à donner un sens à une existence qui nous échappe. Obscurément nostalgiques du paradis dont nous avons été chassés, et devinant par intuition qu’il est toujours là, dissidents insatisfaits de notre vie purement matérialiste, nous cherchons confusément à retrouver le sens du paradis perdu et, pour les plus conscientisés d’entre nous, de découvrir ce Dieu qui se cache faute d’avoir cessé de le chercher, faute de s’être mis hors du jeu divin. Dieu est la présence à reconnaître au milieu de ce jeu, parce que notre vie n’a de sens qu’à l’intérieur de ce jeu, de cette quête d’absolu.
Saint-Exupéry avait vu juste : « On ne voit bien qu’avec les yeux du cœur. L’essentiel demeure invisible au regard. » Nous devons réapprendre à voir avec les yeux du cœur pour redécouvrir l’essentiel qui se cache dans la profondeur de notre nuit. C’est à ce prix seulement que nous trouverons enfin le bonheur, que nous pourrons jouer notre véritable rôle en ce monde, et que nous deviendrons « bienheureux »!
Si tout cela au contraire nous laisse insensibles, alors il faudra croire que nous ne sommes pas tannés de mourir, et que nous sommes indifférents à l’idée de vivre étouffés par les ronces de notre jardin abandonné à lui-même, confortables avec l’idée de cette mort à toute élévation en nous, cela alors que nous n’aurons peut-être jamais su ce que c’est que de vraiment vivre, et même jamais su ce que c’est que de naître!