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vendredi 1 juillet 2011

« Non, merci ! »




Il avait pour nom Normand, mais derrière son dos, son entourage lui avait donné le sobriquet de « non, merci!». La raison de ce surnom moqueur, c’est que Normand était non seulement mortellement ennuyeux, ne se sentant concerné en rien en dehors de sa petite personne, mais également aussi mesquin qu’insipide. Le profil qu’il avait adopté au fil des ans était si anonyme que personne ne le remarquait en quelque lieu où il se trouvait. C’était à ce point que certains affirmaient qu’on pouvait le confondre avec une patère, dès que plusieurs personnes étaient réunies dans une pièce. Aucune prise de position sur quelque dossier ou point d’actualité qui eut pu l’amener à se compromettre. Était-il religieux, avait-il une couleur politique, une famille, des enfants, personne n’en savait trop rien. Même ses proches disaient ignorer à peu près tout de lui, sinon qu’il était un peigne-cul de première. Mais cela, tout le monde le savait dans son entourage. Dès que Normand était interpellé par un solliciteur, ou bien il feignait de ne pas le voir pour mieux l’ignorer, ou il répondait à sa demande par un perpétuel, « non, merci!»
« Non, merci! » à la main tendue de l’itinérant et aux mendiants et nécessiteux de tout acabit que la vie a jeté sur le pavé. « Non, merci! » aux appels, quêtes et sollicitations pour quelque œuvre pieuse ou charitable que ce soit. « Non, merci! » toujours et en tout lieu. Les défavorisés de ce monde ne trouvaient aucune grâce sous le regard de Normand. Jamais celui-ci ne s’impliquait en rien, n’ayant jamais ressenti de sympathie pour les malheureux. Au point qu’à son travail, lorsqu’il y avait une collecte au profit d’une association caritative, il se dépêchait de se réfugier aux toilettes, le temps que passe le chapeau. Et si par hasard on le priait d’apposer son nom au bas d’une pétition visant à appuyer une cause qu’il jugeait un peut trop revendicatrice à son goût, il avait toujours soin de signer d’un nom fictif et d’inscrire une autre adresse que la sienne sur le document en question, de peur que cela puisse  éventuellement l’impliquer.
Par un bel après-midi d’automne, alors que Normand était chez lui, calé bien tranquille dans son fauteuil préféré à regarder un match de football à la télévision, soudain une panne de courant venait lui couper son plaisir. Comme sa femme était sortie faire des courses, il se retrouvait seul avec lui-même, subitement totalement pris au dépourvu. Quoi faire pour tuer le temps en attendant cette coupure? Lire le journal du jour? Il l’avait déjà lu. Dévorer un bon bouquin? Il n’en avait aucun sous la main, pour ainsi dire inculte dans le domaine littéraire. Le seul livre disponible, à la traîne comme toujours au milieu des meubles du salon, était une vieille Bible qui avait appartenu à la famille de sa femme et que cette dernière parcourait à l’occasion par pure valeur sentimentale, quand elle n’avait rien d’autre à faire. S’emparant du vénérable écrit aux pages jaunies et défraîchies par l’usure du temps qu’il avait toujours ignoré à venir jusqu’à ce jour, Normand l’ouvrait machinalement à l’endroit où le signet de ruban fixé par un bout à la tranchefile supérieure du livre en marquait l’endroit où sa femme était rendue dans sa lecture de l’Évangile selon saint Matthieu.  
Sans véritable intérêt, Normand commençait à en parcourir les versets du chapitre 25, d’autant moins intéressé qu’il se sentait rapidement gagner par un assoupissement insurmontable, suite à l’inactivité qui avait suivi son repas du midi. Après une présence d’esprit relâchée sur Les dix vierges, son attention commençait sérieusement à battre de l’aile sur la parabole Les talents. Voilà qu’il abordait maintenant le verset 31 : Le Jugement dernier, et sa concentration connaissait de plus en plus de ratés…
« Lors donc que le Fils de l’homme reviendra dans sa gloire, escorté de tous ses anges, alors il s’assiéra sur son trône de gloire, et tous les peuples se réuniront en sa présence, et il les séparera les uns des autres, comme le berger sépare les brebis des boucs, et il placera les brebis à droite et les boucs à gauche. Alors le roi dira à ceux de droite : venez les bénis de mon Père, entrez en possession du royaume qui vous est préparé depuis la création du monde. »
 « Car j’ai eu faim et vous m’avez donné à manger, j’ai eu soif et vous m’avez donné à boire; j’étais étranger et vous m’avez accueilli, nu et vous m’avez vêtu, malade et vous m’avez visité, en prison et vous êtes venu vers moi. Alors les justes lui répondront : Seigneur, quand est-ce que nous t’avons vu affamé et t’avons-nous donné à manger, assoiffé et t’avons-nous donné à boire? Quand est-ce que nous t’avons vu étranger et t’avons-nous accueilli, nu et t’avons-nous vêtu? Quand est-ce que nous t’avons vu malade ou prisonnier et sommes nous venus vers toi? Le roi leur répondra : je vous le dis en vérité, tout ce que vous avez fait au moindre de mes frères, c’est à moi-même que vous l’avez fait. »
« Alors il dira à ceux de gauche : Retirez-vous de moi, maudits, allez au feu éternel qui a été préparé pour le diable et ses anges. Car j’ai eu faim et vous ne m’avez pas donné à manger, j’ai eu soif et vous ne m’avez pas donné à boire, j’étais étranger et vous ne m’avez pas accueilli, nu et vous ne m’avez pas vêtu, faible et en prison et vous ne m’avez pas visité. »    Voyant qu’il avait été classé à gauche parmi les boucs, chose qui commençait sérieusement à l’inquiéter tant il était sûr qu’il se retrouvait là par mégarde, même si tout le monde autour de lui ne semblait se soucier de qui que ce soit, à son exemple, Normand, pour une fois, sentit le besoin de s’impliquer et demanda à prendra la parole :
— Seigneur, quand est-ce que nous t’avons vu dans la faim ou la soif, étranger, nu, malade, en prison sans que nous t’ayons secouru?
            « Je vous le dis en vérité, tout ce que vous avez omis de faire à l’un de ces tout-petits, c’est à moi-même que vous ne l’avez pas fait. Et ceux-là s’en iront au supplice éternel, et les justes à la vie éternelle. »
―Aughhhh! hurla Normand en se réveillant en sursaut, ce juste comme sa femme était de retour à la maison
― Mon Dieu, t’as bien l’air effarouché? lui lança-t-elle sur un ton blagueur. Tout un cauchemar! À croire quasiment que tu viens de voir le diable en personne!
Comme son mari avait encore sa Bible sur les genoux, ouverte à l’endroit précis où elle avait placé son signet, elle ajouta, sarcastique : 
― C’est ma Bible qui te fait cet effet-là? Heureusement pour toi que tu ne mets pas le nez d’dans souvent!
Se mettant sur pied en grognant contre lui-même, Normand mit son mauvais rêve sur le compte d’un repas trop copieux, affirmant qu’il n’avait lu que quelques lignes de la Bible en question avant de tomber endormi, et les choses en restèrent là. Mais la semaine d’après, alors qu’il venait de compléter des achats dans un grand magasin en compagnie de sa femme et se hâtait de regagner le domicile conjugal sous une pluie battante, les bras chargés de colis, un miséreux s’avançait vers lui, mains tendue, sans mot dire, la mort dans les yeux. Et ô surprise, Normand qui était déjà tout empêtré de ses achats n’y allait pas cette fois-ci de son sempiternel « non, merci! », en guise d’échappatoire. Au contraire, il prenait le temps de s’arrêter et, gauchement, plongeait la main dans sa poche pour en extirper une pièce de deux dollars qu’il remettait au pauvre hère avec un sourire constipé.
— Mon Dieu, dis-moi où il faut mettre la croix? s’exclama sa femme, médusée, quand le couple se fut remis en marche.
— Bof, répondit Normand, l’air embarrassé, c’est juste que je trouvais qu’il faisait plus pitié que les autres. Puis une fois n’est pas coutume…
— Surtout pas, hein? S’il fallait que tu prennes l’habitude de donner comme ça à tout un chacun dans le besoin, ça risquerait de te coûter cher..! Il y a une petite histoire intéressante dans l’Évangile à propos des déshérités que le monde ignore…
—Je la connais, riposta Normand avec une moue ennuyée. Lazare et le mauvais riche… La différence, c’est que moi je ne suis pas riche!
— Pas l’histoire de Lazare, corrigea sa compagne, fine mouche, qui avait deviné sans mal depuis le tout début quel était le texte qui avait semé l’émoi dans l’esprit endormi de son mari, un autre récit plus d’à-propos pour toi : Le Jugement dernier. Tu devrais lire ça. Je suis sûre que tu te reconnaîtrais à quelque part là-d’dans.
— Non, merci!   
Comme se parlant à elle-même, décochant un regard désabusé au ciel, la pauvre femme, empruntant un ton teinté d’ironie amère, laissa tomber :
— Non, merciiii! Faut croire que le bouc n’a pas eu encore assez peur!

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