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samedi 18 juin 2011

Bernard-l’ermite


Il y a longtemps que Charles désirait connaître ce personnage particulier connu sous le pseudonyme de « bernard-l’ermite » parmi les riverains du lac où il avait choisi d’édifier sa résidence secondaire. À la belle saison, les enfants de Charles adoraient aller se balader en canot devant la modeste maison de campagne de l’individu construite à l’extrémité sud du lac. Le plaisir de son fils et de sa fille, c’était de se remplir les yeux du spectacle du « parc animalier » de l’intriguant riverain.
Cette année, par une belle journée d’été, cédant aux pressions de ses enfants, Charles saute dans le canot et pagaie jusqu’à la résidence de « bernard-l’ermite », afin d’aller voir par lui-même de quoi il en retourne avec cette demeure pour le moins originale. Le spectacle qui l’attend est plutôt singulier. Un îlot de verdure et de paix dans l’air duquel monte une joyeuse cacophonie de chants d’oiseaux. Pourtant la maison qui trône au centre de cet éden de verdure est sobre, pour ne pas dire dépouillée. Son seul véritable attrait, c’est son balcon surélevé, large à souhait et s’étendant sur toute la largeur de sa façade. Ce balcon a été construit autour de trois gros bouleaux dont les cimes couronnent à plus de vingt-cinq mètres du sol. Au premier coup d’œil, Charles compte pas moins de quatre mangeoires d’oiseaux suspendues à leurs branches, mangeoires autour desquelles tournoient et pépient gaiement des volatiles par dizaines. Indifférents à leur joyeuse présence, une dizaine de chats de gouttière, puissants et doux, paressent sur la galerie, à l’ombre des grands arbres. Sous le balcon, deux chiens de bonne taille font la sieste dans l’air embaumé des émanations aromatiques des sous-bois de juillet. Et en y regardant de plus près, on peut même encore apercevoir un raton laveur endormi perché au milieu des énormes ramures d’un pin, pendant que deux écureuils sautent de branche en branche.
Fasciné et amusé tout à la fois par ce tableau bucolique, Charles prend photo sur photo des charmes de l’emplacement, ayant encore repéré sous la frise d’une remise un nichoir pour chauves-souris quand, tout à coup, l’hôte des lieux se pointe sur la galerie de la maison. Spontanément, les deux hommes se saluent de la main et Charles, aussitôt, de complimenter le propriétaire des lieux pour l’aménagement de sa résidence, ainsi que la quiétude et la sérénité qui s’en dégagent. La conversation prenant vite un ton familier, sans plus de formalité, « bernard-l’ermite » invite son visiteur à venir le rejoindre sur la terrasse de sa maison pour admirer tout cela de plus près. Une heure plus tard, après avoir fait le tour de la place, caressé chats et chiens des lieux et tout appris de leurs noms, habitudes et spécificités caractérielles, « bernard-l’ermite » qui est visiblement en mal de confidences, commence à raconter sa vie à son visiteur.
L’homme est veuf depuis cinq ans et pensionné. Un veuvage difficile du fait qu’il est seul dans la vie, le couple n’ayant pas eu d’enfants. Comptable à l’emploi d’une modeste entreprise de transport au cours de sa vie active, l’allocation dont il dispose à la retraite ne lui permet aucun caprice dans l’existence. Le seul bien qu’il possède est cette petite maison de campagne sans prétention qu’il habite à l’année longue en compagnie de sa ménagerie, depuis qu’il a pris sa retraite. « Bernard-l’ermite » est d’une gaieté communicative. Contemplatif, il s’émerveille de tout. Le monde est son champ d’observation. La vie qui l’entoure est pour lui une éternelle source d’étonnement et de ravissement. Quand Charles fait remarquer à son hôte qu’il le perçoit comme un homme de concorde habité par une paix morale que rien ne peut troubler, ce dernier éclate d’un grand rire sonore, pour lui dire tout de go que malheureusement il n’en a pas toujours été ainsi au cours de sa vie.
Toute l’existence de « bernard-l’ermite » s’était déroulée pour ainsi dire dans une sorte de repli sur lui-même, à venir jusqu’au décès de sa femme Fermé aux autres, il avait vécu en orbite autour de son nombril, selon ses propres dires, le cœur lourd et l’esprit enveloppé comme d’un brouillard opaque, obnubilé par ses petits problèmes existentiels, les yeux rivés au sol à ergoter sur des vétilles et à croupir dans un monde d’insignifiance. Il avait choisi ce mot à dessein, parce que, disait-il, tout ce qu’il avait fait était dénué de véritable sens. Une vie où même ses prières avaient consisté en de vains balbutiements des lèvres, faute d’une sincère élévation du cœur.
Encore plus renfermé sur lui-même avec la venue de la retraite et son veuvage, l’homme avait choisi de finir ses jours dans la solitude de cette petite maison plantée en bordure du lac, y traînant des jours de plus en plus vides de sens, du fait de son peu de contacts avec autrui. Jusqu’au jour, où passant devant une librairie, il s’était senti comme interpellé par un livre exposé en vitrine : « Mère Teresa » : “ Les écrits intimes de la sainte de Calcutta”. La lecture de ce livre avait été un véritable choc pour lui, au point qu’il avait eu l’impression qu’un voile s’était déchiré devant ses yeux, suite à cela. « Bernard-l’ermite » avait compris que s’il traînait depuis toujours un cœur lourd, c’était peut-être parce que son contenu était trop léger, et que s’il avait vécu enveloppé d’un brouillard perpétuel, c’était peut-être bien, encore une fois, parce qu’il avait gardé les yeux fermés jusqu’à ce jour. Et il avait ouvert les volets de son cœur pour y laisser entrer la lumière à profusion.
Pour la première fois de son existence, « bernard-l’ermite » s’était arrêté à observer le monde qui l’entourait. Et il avait choisi d’y tenir un rôle, aussi modeste fut-il, à l’exemple de Mère Teresa, afin d’en soulager la détresse accablante de ses déshérités. Comme elle, il avait pris conscience de sa faiblesse, de ses limites, de sa pauvreté. Et ce « rien ni personne » dont il avait le sentiment d’être la personnification, il l’avait offert à son Dieu, le laissant libre d’agir à sa guise à travers lui. Il ne recherchait pas les grandes choses, il faisait seulement les petites choses de son humble existence avec amour et désintéressement. Et depuis le jour lointain de cette révélation, il avait eu le sentiment aigu que Dieu était à tout bouleverser en lui, à l’exemple de la « sainte de Calcutta », mais comme il n’avait aucune prétention, disait-il à son visiteur, la mine toute réjouie, Dieu était bien libre de faire ce qu’il voulait avec lui. Il était à sa disposition, aussi longtemps qu’Il le désirait.
« Bernard-l’ermite » est décédé à la fin de l’année dernière, suite à un accident cardiovasculaire. Dans les jours qui suivirent son décès, Charles, inquiet du sort qu’on allait réserver aux chats et aux chiens de sa ménagerie, choisit de prendre avec lui deux de ses félins, et s’occupa personnellement de trouver une famille d’accueil pour le reste des animaux de la maison. Toutes ces pauvres bêtes qui avaient été recueillies du vivant de « bernard-l’ermite » l’avaient été en raison du fait qu’elles vivaient dans l’errance. Et comme le vieil homme avait pris l’habitude de l’adoption, et qu’il était convaincu qu’en tant que chrétien il avait des obligations de partage envers les plus démunis, il avait encore trouvé le moyen, malgré ses faibles revenus, d’apporter son soutien matériel à un organisme international de parrainage d’enfants, en prenant à sa charge l’entretien et l’éducation de dix enfants… Tous musulmans.
Quand Charles s’était séparé de son hôte, le jour où il lui avait rendu visite, il avait remarqué, près de la sortie de la maison, une petite note toute jaunie rédigée à la main et épinglée à la hauteur des yeux. Une pensée du cru de « bernard-l’ermite », désireux sans doute de s’en imprégner l’esprit à chaque instant : « Aimer son prochain ne se résume pas à aimer son proche voisin, mais tout l’entourage. »

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