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vendredi 4 novembre 2011

Le choc du présent

         L’homme ignorait tout des critères et références qui avaient pu jouer en sa faveur. Mais, un bon matin, une équipe de prestigieux savants de notre monde avait débarqué chez lui afin de lui annoncer qu’il avait été sélectionné parmi des millions de ses semblables pour participer  à une expérience unique.
            Si le cœur lui en disait bien sûr, car sa participation serait sur une base totalement volontaire. Une expérience qui ferait date dans les annales de la science, l’assurait-on, et totalement sans danger pour sa personne. S’il acceptait de s’y prêter, l’homme serait pour ainsi dire transporté en esprit dans un monde virtuel auquel il aurait totalement l’impression d’appartenir, partageant dans son intégralité le quotidien des êtres qui y évoluaient. La seule différence avec la réalité de tous les jours, c’est que l’expérience se déroulerait en accéléré.
Le but de l’exercice était de vérifier les limites d’endurance du cobaye au stress vécu par les individus vivant au cœur de ce monde.  Dès l’instant où le malaise de notre homme deviendrait trop grand, il aurait la possibilité de tout stopper par une simple pression du doigt sur un bouton d’arrêt.
            L’homme ayant donné son aval à l’expérience proposée, au jour dit on l’enferme donc dans une espèce de cabine futuriste avec tout un gréement d’électrodes branchées sur la tête, et un casque spatial enfoncé sur le crâne conçu pour reconstituer dans sa totalité et en 3 D le champ de la vision humaine, le tout accompagné d’une bande sonore reproduisant les bruits propres aux choses de ce monde virtuel.  
            Tout ayant été réglé au quart de poil, à un signal donné, l’expérience démarre. En un instant l’homme se retrouve au cœur d’un univers effrayant où tout le monde s’agite en tout sens autour de lui, parle au téléphone, regarde la télé, tape sur son ordi personnel, envoie et reçoit des textos, coure en écoutant son IPod et en regardant les nouvelles sur son IPad. En un instant, l’homme a l’impression d’être comme étranger à lui-même, de vivre à l’extérieur de son corps, comme déconnecté de son essence propre.
Les images se déroulent à une vitesse folle devant son champ périphérique. Chacun ne vit que pour soi, que pour le culte de son image, que pour se faire admirer. Chacun est centré sur lui-même, enfermé dans son monde, indifférent à l’autre. Pas un instant de répit dans la journée pour personne. La course du matin au soir. Tout le monde court, mais personne ne sait pourquoi ni ne sait en quelle direction. Toujours sollicité, toujours connecté, toujours le bouton enfoncé à « on ».
Téléphone portable branché sur l’oreille du lever au coucher, chacun chasse des rêves, des fantômes, des riens. Chacun poursuit des mirages et se consume à les saisir. Chacun vit dans la crainte du lendemain, avec la peur de tout perdre, la peur d’avoir peur, affolé à la moindre mauvaise nouvelle touchant sa sécurité ou ses avoirs.
Internet est le nouveau dieu de tous, « Facebook » et « Twitter » ses grand prêtres. Chacun y gobe sa dose quotidienne de pollution mentale. Chacun est branché à tous les réseaux, mais complètement déconnecté de lui-même. Chacun se targue d’être renseigné sur tout, mais nullement instruit de l’essentiel. Chacun vit avec le disque dur célébral saturé de données inutiles, surchargé de jingles, de slogans, de pourriels et d’informations débilitantes. Chacun vit avec l’imaginaire si englué de toute cette merde médiatique, que le cerveau n’arrive plus vraiment à distinguer le réel de l’irréel, l’essentiel de l’inutile.  
Chacun ne vit que pour le néant des honneurs, des biens matériels et des plaisirs futiles. Chacun vit sur le penchant de sa ruine, tisserand de toiles d’araignées, gobe-mouches, constructeur de châteaux de cartes. Chacun vit les mains vides, sa route encombrée de toutes les formes de possession de l’inutile, ignorant des vrais biens. Chacun vit crevé, fatigué, déprimé, stressé, carburant aux anti-dépresseurs, aux drogues, à l’alcool, pour arriver à suivre le rythme. Et cela ne s’arrête jamais, croissant selon une courbe exponentielle affolante.
Après quelques minutes de cette sarabande infernale, l’homme n’en peut plus.  Il a l’impression que le monde dans lequel il vient d’être incorporé est en train de le bouffer littéralement, d’avaler jusqu’à son âme. Par pur réflexe de survie, il enfonce le bouton d’arrêt, mettant ainsi fin séance tenante à l’expérience en cours. Quand on vient le débrancher, l’homme prend conscience qu’il est trempé de la tête aux pieds et qu’il est épuisé comme s’il n’avait pas dormi depuis des jours.
-- Félicitation, lui dit-on, vous avez tenu quatorze minutes et cinquante-huit secondes. C’est mieux que ce que l’on espérait…Vous êtes épuisé, et c’est normal. C’est une expérience des plus stressantes. Qu’en pensez-vous ?
-- J’ai l’impression que je viens de revivre ma vie en raccourci ! répond le cobaye, laconique, les traits défaits, l’œil agrandi par l’état de déséquilibre mental dans lequel il vient d’être plongé.  
-- Croyez-vous que pareille expérience pourrait être utile aux autres ?
-- Chacun verrait sa vie défiler devant ses yeux ! ajoute l’homme sans plus, se refusant à tout autre commentaire.
Quelques mois plus tard, un mystérieux poster apparaissait un bon matin sur les murs d’une petite ville. Seul notre homme en connaissait la provenance, puisque c’était  lui qui l’avait placardé au cours de la nuit précédente, ayant même placé commande de centaines de ses copies auprès d’un imprimeur de la région. Et ainsi, comme s’il eut eu le pouvoir de se reproduire par lui-même, nuit après nuit, ce poster se retrouvait en toujours plus points d’affichage. Si bien qu’au bout d’un certain temps, la ville était tapissée de ses reproductions.
L’événement commençant à attirer l’intérêt des médias, la nouvelle se répandait à l’extérieur. Si bien qu’on pouvait maintenant voir des copies du poster en question ailleurs dans d’autres villes. L’effet boule de neige ne s’arrêtant pas là, bientôt c’était tout le pays qui était contaminé. Puis d’autres états voisins emboîtaient le pas. Puis d’autres encore au-delà des océans. Avant la fin de l’année, l’humanité tout entière avait été piquée par le virus de cette mystérieuse affiche. Mais de quoi parlait-elle donc pour avoir captivé autant l’imagination des hommes de notre monde ?
Le poster en question représentait le Dalaï Lama, tout souriant de sagesse, suivant son habitude. En titre, au-dessus de sa tête, figurait la question qu’on lui avait posée : « Qu’est-ce qui vous surprend le plus dans l’humanité ? » Plus bas, en caractères bien lisibles, sa réponse :

           « Les hommes qui perdent la santé pour gagner de l’argent et qui, après, dépensent cet argent pour récupérer la santé. À penser trop anxieusement au futur, ils en oublient le présent, à tel point qu’ils finissent pas ne vivre ni au présent ni au futur… Ils vivent comme s’ils n’allaient jamais mourir et meurent comme s’ils n’avaient jamais vécu. »

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