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dimanche 20 novembre 2011

L’homme qui criait au désert

 
         Il y a de cela fort longtemps, un fils de roi, accompagné de ses écuyers et de toute une escorte de soldats en armes, s’était mis en route de bon matin à destination d’un lointain village de montagne, pour une expédition punitive de grande envergure. À ses dires, cette opération ferait date dans l’histoire du royaume.
Quelques semaines plus tôt, un héraut dont les fonctions étaient de transmettre au peuple les messages et proclamations émanant du trône, s’était vu souillé d’excréments en annonçant aux habitants du village ciblé, qu’un impôt supplémentaire serait désormais prélevé sur les ventes des produits de leurs champs. On était alors au milieu de l’automne, et l’héritier en titre de la couronne comptait incendier le village au grand complet, en guise de représailles. Tous ceux parmi ses habitants qui n’arriveraient pas à se relever de leurs cendres avant la venue de l’hiver seraient condamnés à trouver refuge ailleurs, ou à périr de froid. Tel était le châtiment qui attendait les pauvres gens de ce hameau rebelle.
Sur l’heure du midi de ce même jour, histoire de se restaurer et de prendre un peu de repos, la troupe en armes avait choisi de faire halte à la hauteur d’une vaste auberge plantée en bordure de la route. Comme la région était désertique, seuls les voyageurs de passage fréquentaient ce lieu du bout du monde aménagé à la manière d’un caravansérail.
Alors que le prince descendait de cheval, son attention était attirée tout à coup par une espèce d’exalté planté seul au bord du chemin, à quelques pas de l’auberge, et qui était à haranguer avec une éloquence frénétique les soldats de l’avant-garde de sa force punitive, arrivés quelques instants plus tôt. Hirsute à souhait avec sa tête rousse ébouriffée mangée de barbe, vêtu d’une pauvre défroque rappelant celle d’un moine et s’appuyant sur un bâton de pèlerin qu’il brandissait en tous sens dans l’emportement de son propos, l’ermite au désert incitait ses auditeurs au pardon pour les offenses qui leur étaient faites.
Tenaillé par la faim, c’est à peine si le prince prêtait attention à l’énergumène. Amusé plus qu’autre chose par son discours moralisateur dans un endroit aussi désert, il demandait à l’un de ses adjoints de lui faire l’obole d’une piécette, puis s’engouffrait dans l’auberge à la tête de sa troupe sans plus tarder.
Un peu plus tard en après-midi, alors que cette pause avait regaillardi tout le monde, comme le prince s’apprêtait à remonter à cheval, son attention était de nouveau attirée, à sa sortie de l’auberge, par ce singulier anachorète qui, tout le temps du repas, n’avait jamais cessé de crier au désert. Ses seuls auditeurs, en effet, semblaient être les buissons d’épineux que cravachait un mauvais vent de sable soufflant en bourrasques.
Prêtant l’oreille un instant à la violence de ses diatribes, lesquelles tournaient sans cesse autour du thème de l’indulgence pour les fautes de l’offenseur, piqué de curiosité soudainement par le singulier discours de l’exalté en un lieu aussi peu fréquenté, le prince s’attardait un moment sur les lieux de sa prédication.
-- Les mots les plus grands à jamais avoir été mis dans la bouche de l’homme par son Créateur sont : « Je te pardonne » ! répétait inlassablement l’ermite sur tous les tons.
À ses dires, il fallait tenir toute offense pour non avenue, ne pas en garder de ressentiment, renoncer à en tirer vengeance, à l’exemple du Christ qui avait pardonné à ses bourreaux, en mourant sur la croix. Le pardon libérait l’esprit de l’offensé, lui apportait la réconciliation avec lui-même, l’établissait dans la paix avec Dieu. Personne ne pouvait requérir le pardon pour ses fautes et le refuser dans le même temps à son semblable. Le pardon ouvrait les portes du Ciel. Son refus, les fermait. La mesure dont on usait envers les autres était la même dont le Ciel se servait à notre égard. Et la récompense serait grande pour l’homme miséricordieux, au jour de sa mort, car à son tour il trouverait miséricorde auprès de son Créateur, alors que l’homme immiséricordieux se condamnait à vivre sur le penchant de sa ruine jusqu’au terme de sa vie.
Subjugué par les propos de l’ermite qui déclarait encore que la haine et la vengeance avaient causé la perte de royaumes entiers au cours des siècles, le prince était demeuré sur place un bon moment à écouter sans mot dire ce discours moralisateur. Si bien que ses écuyers avaient dû le rappeler à l’ordre, après un certain temps. La troupe avait encore deux bonnes heures de route devant elle avant d’atteindre le village. Le temps de rassembler tout le monde une fois sur place pour leur lire l’acte de condamnation, puis de tout incendier des habitations du hameau, avec les risques d’échauffourées et de désordre qui pouvaient s’en suivre, l’expédition ne serait pas de retour avant le milieu de la nuit, si on ne se remettait pas en marche rapidement. Quelque peu songeur après ce qu’il venait d’entendre, le prince s’était rangé à l’avis de ses conseillers, et la troupe en armes s’était remise en selle sans plus tarder en vue de poursuivre son expédition vengeresse.
Le lendemain matin, au réveil, alors que l’entourage du trône s’était empressé d’aller aux nouvelles, la troupe n’étant rentrée de son action punitive qu’aux aurores, le premier écuyer du prince s’était présenté au rapport devant la cour, le dauphin se disant trop indisposé par la fatigue de ce long voyage pour livrer ce compte rendu lui-même.
 Alors que tous s’attendaient à une véritable razzia, en raison des propos incendiaires que le prince avait tenu sur le sort qu’il réservait aux habitants du hameau rebelle, l’écuyer affirmait que l’opération avait pris une tout autre tournure à l’entrée de la troupe dans le hameau dissident. Et, en quelques mots, il résumait à la cour la façon dont les choses s’étaient déroulées :
-- Son excellence a rassemblé tout le monde, hommes, femmes, enfants devant le parvis de l’église. Et là, soudainement, contre toute attente, au lieu d’annoncer les mesures de représailles pour lesquelles on avait parcouru tout ce long chemin, les seuls mots qu’il trouva à prononcer furent ces étranges paroles de mansuétude: « Vous vous êtes égarés en posant ce geste malheureux à l’endroit de notre héraut, mais vous êtes pardonnés ! »
L’affaire s’ébruitant rapidement de bouche à oreille à la grandeur du royaume,  tant pareil pardon n’entrait pas dans les façons de faire des princes régnants avec les cas de rébellion de leurs sujets, au crépuscule de ce jour, le père abbé d’une importante communauté monacale du pays en apprenait tous les détails par la bouche même de l’un des participants de l’opération avortée. Aux dires de ce gentilhomme, ce revirement imprévisible du prince était le fait d’un exalté croisé en cours de route. Un prêcheur itinérant planté au bord du chemin et qui appelait les hommes au pardon pour les fautes de leurs offenseurs. Il était certain qu’à venir jusqu’à ce jour, seules les plaintes du vent avaient dû répondre aux exhortations de cet ermite, car l’homme prêchait dans un lieu désertique, devant un auditoire invisible.   
-- Parfois celui qui croit crier au désert, tant ses propos ne semblent pas trouver d’écho, a plus d’audience qu’il ne le pense, commentait le père abbé avec une petite flamme secrète dans le fond de sa prunelle de jais. Sa voix peut porter plus loin qu’il ne le croit…Une seule oreille à l’écoute peut faire la différence pour changer bien des choses…N’en avez-vous pas eu la preuve hier..?
Puis, un sourire énigmatique au bord des lèvres, il ajoutait: 
-- Nul ne sait où souffle l’Esprit. Ses voies sont insondables…Mais j’aime croire que parfois il emprunte la voix de l’homme pour se propager…Et cela même si cet homme pense crier au désert !

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