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jeudi 6 octobre 2011

Soudain l’été dernier

     

                 On était à la mi-septembre, et l’homme avait été réveillé en sursaut au beau milieu de la nuit par le crépitement que faisait la pluie contre les carreaux de sa chambre. Se mettant sur pied et se dirigeant vers la fenêtre entr’ouverte, il prenait conscience du même coup que le temps avait fraîchi. Regardant à travers la vitre, il pouvait voir les grands arbres de son jardin littéralement se tordre d’effroi sous le souffle violent d’un noroît déchaîné qui chassait tout devant lui avec un gémissement lamentable et sinistre. À ce point qu’on eût pu croire un instant à un terrible vent de malheur, annonciateur de lugubres calamités pour tous les foyers qu’il se plaisait à tourmenter de son souffle rageur.
                     Faisant un rapide tour de sa maison pour y fermer partout à volet derrière lui, l’homme retournait se coucher sans attacher plus d’importance à cette saute d’humeur de dame nature, se rendormant presque aussitôt du sommeil du juste. Au matin, comme il se mettait sur pied pour vaquer à ses occupations coutumières, il pouvait constater à travers ses vitres que le vent n’avait faibli en rien au cours de la nuit. Au contraire, s’égosillant à présent avec une rage redoublée aux fenêtres de sa maison, il continuait de répandre l’épouvante sur son passage, en martelant les grands pins du voisinage de si rudes coups que ceux-ci courbaient le dos en laissant entendre de sourds geignements de protestation. Quant aux fleurs de son jardin, elles étaient dans un si triste état, qu’on eût pu croire encore une fois que quelque géant fou se fût amusé au cours de la nuit à les chiffonner et les froisser rageusement entre ses mains.
                  -- Mon Dieu, quelle tristesse ! marmonna l’homme entre ses dents. Du vent, de la pluie et du froid, comme à l’automne tard… Soudain l’été dernier !
                     Du coup, il se sentait envahir par une étrange nostalgie en réalisant qu’un autre été de son éphémère existence venait de s’envoler à tout jamais. Il en avait été de même pour l’époque révolue de ses vingt ans. Cette saison de sa vie était loin derrière lui maintenant. Une réflexion de Lamartine lui revenant à l’esprit, « éternité de la nature, brièveté de l’homme », il  prenait conscience de son néant face à cette nature immuable, s’attardant un instant à faire un rapide bilan de ce qu’avait été sa vie à venir jusqu’à ce jour.
                     Dans sa jeunesse, à l’exemple de millions d’autres jeunes de par le monde, il avait tourné le dos à sa foi, se conformant à des modes et se soumettant à des usages que souvent sa conscience avait désavoués. Il le reconnaissait volontiers aujourd’hui, il avait été l’esclave du respect humain. Orgueilleux, ignorant et vantard, ne voyant que la surface des choses, il avait même eu la prétention de devenir libre en secouant le « joug » de Dieu. Et alors qu’il croyait conquérir sa liberté ce faisant, il s’était éloigné du vrai et s’était constitué dans le faux. Plein de lui-même, il savait tout, il avait tout vu, il se suffisait en tout. De la vie, il avait usé et abusé, et toutes ces adorations de la chair, toutes ces mollesses de mœurs, toutes ces abdications de conscience et de caractère lui avaient rivé plus solidement au cou et aux pieds les chaînes de l’esclavage.
                     Il en avait été ainsi jusqu'à ce jour funeste où un coup du sort lui avait fait prendre conscience de la fausseté de son jugement et des erreurs de son appréciation, lors d’une délicate transaction immobilière qui avait mal tourné. Il avait alors connu non seulement l’humiliation professionnelle, mais également l’humiliation morale, et même l’humiliation publique. Suite à ce revers de fortune qui avait conduit ses proches à lui tourner le dos, l’homme s’était réfugié dans une église, chose qu’il n’avait pas faite depuis des années. Et alors qu’il restait planté là devant le Sanctuaire, sans un geste, sans une parole, sans une prière, seul avec ses tourments, il avait pris conscience soudainement que vivre sans Dieu l’avait conduit à vivre seul, désabusé, chargé d’angoisses, enfermé le plus souvent dans une misère morale qui avait fait de lui une véritable âme en peine soumise aux caprices de tous les vents mauvais de ce monde et incapable de discerner le vrai du faux.  
                     Les mois passant, lentement mais sûrement, l’homme s’était relevé de son épreuve. Puis, au seuil de la trentaine, il avait rencontré une femme d’exception, et grâce à l’amour de cette conjointe dévouée et au soutien inconditionnel qu’elle lui avait apporté dans sa reconstruction morale et professionnelle, il avait repris foi en son Dieu, alors qu’auparavant il n’avait que les lueurs incertaines de sa vacillante raison pour prévenir ses chutes et l’aider à se relever lorsqu’il tombait.
                     Mais quand il regardait derrière lui à présent, l’homme constatait que son parcours religieux ne s’était pas fait sans nouvelle crise d’incrédulité toutefois. Sa foi en Dieu avait oscillé avec la bonne et mauvaise fortune de sa vie. Irrésistible dans les moments de bonheur et de prospérité, elle avait disparu presque complètement lorsque l’épreuve avait frappé à sa porte. Bien que croyant, il était de ces hommes qui dans l’adversité interprétaient le silence éternel du Ciel comme une absence de réponse à leurs prières. Néanmoins, même si sa foi s’était refroidie dans ces moments d’épreuve, il avait refusé de s’abandonner au désespoir et de laisser croître en lui ses mouvements de révolte. Quelque chose comme un « appel au secours » muet, à la limite de son champ de conscience, avait continué à solliciter l’aide du Ciel dans ces moments de crise, détournant de son âme l’angoisse et le doute pour leur substituer l’espérance consolatrice.
                     Aujourd’hui, alors que l’homme commençait à croire que son avenir était derrière lui avec l’approche de la septantaine, sa foi au Ciel passait par une acceptation totale de ses volontés. Tout comme un grand fleuve tranquille poursuivant paisiblement sa route vers la mer en dépit des obstacles qui venaient parfois entraver le cours de ses eaux, il cheminait sereinement vers son Dieu avec une confiance inébranlable. Il avait accepté que son Créateur pense différemment de lui, et qu’Il lui vienne en aide à sa manière et non pas nécessairement comme lui le souhaitait, imprégnant son esprit de cet oracle de Yahweh tiré du Livre d’Isaïe pour bien se pénétrer de cette vérité :  
                     « Mes pensées ne sont pas vos pensées, et vos voies ne sont pas mes voies.»

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