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mercredi 14 septembre 2011

L’homme sans visage




Installé face à son miroir, l’homme contemplait son visage comme si c’était la première fois qu’il le découvrait. Des décennies durant, il avait cohabité avec ce visage dont ce verre étamé lui avait toujours reflété une image inversée de lui-même. Si bien que la personne que lui présentait ce miroir n’était pas celle que voyaient ses semblables, puisque lui n’en avait toujours vu que l’image dans l’ordre inverse. Aussi, éprouvait-il toujours une sorte de désagrément quand on le prenait en photo et qu’il se découvrait par après tel que les autres le percevaient.
            Qui était donc l’individu que lui présentait ce miroir ? Cet homme vieillissant dont les traits étaient en mutation constante depuis les tout premiers jours de son entrée en ce monde ? Cette question existentielle, notre homme n’avait jamais cessé de se la poser. Et pour cause, puisqu’il ne se reconnaissait aucunement dans ce visage marqué par le temps que lui retournait son miroir. À la limite, ce faciès était celui d’un inconnu, parce qu’il ne reflétait en rien la perception intime qu’il avait de sa personne.
            Quand il s’était ouvert à ses proches de cette étonnante représentation de l’esprit qu’il avait de lui-même, un visage qui ne collait pas avec l’image qu’il s’en faisait intérieurement, on avait demandé à l’individu d’être plus explicite. Si cette tête n’était pas la sienne, comment se percevait-il donc alors? Plus jeune sûrement, comme tout un chacun le prétendait, avec la belle petite gueule de l’homme au seuil de l’âge adulte. Mais là encore, la réponse de notre homme était demeurée évasive. Aucune image ne pouvait traduire, selon lui, le mystérieux aspect de cet être sous-jacent à lui-même qu’il qualifiait pour ainsi dire de souffle profond de son existence propre. Nul mot n’existait pour en reproduire l’expression. Le visage de cet être intérieur qui l’habitait tout entier échappait à toute description.
Bien sûr, comme l’individu était d’une nature généreuse, et que son visage était à l’ordinaire souriant, rayonnant, tranquille, on en avait déduit chez ses amis que l’image qu’il devait essayer de recréer de lui-même devait avoir au moins quelque ressemblance avec ce portrait bienveillant de sa personne qu’il présentait aux autres. Mais là encore, l’homme avait été tout à fait incapable de trouver les mots pour identifier l’être qui l’habitait derrière ce visage aimable que lui retournait son miroir.
Et puis un beau jour, en lisant la Bible, il était tombé par hasard sur ce passage du « Livre des Psaumes » : « Je te loue de ce que tu as fait de moi une œuvre souverainement merveilleuse ; admirables sont tes œuvres, je le reconnais volontiers. Mon corps n’échappait pas à ton regard, quand il se façonnait dans le mystère, qu’il se tissait dans les entrailles de la terre ; je n’étais qu’un germe que déjà tes yeux le voyaient. Et dans ton livre, ils étaient tous inscrits les jours que tu me préparais, avant même qu’eût lieu le premier d’entre eux!» (Ps.139. Vers. 14 -16)
Cet être qui s’était façonné dans le mystère échappait bien à toute description. Et pour cause, il ne pouvait pas avoir de visage puisqu’il constituait son moi intime, c'est-à-dire à son âme. Aussi, à compter de ce jour, l’homme ne s’était jamais plus préoccupé du visage vieillissant qu’il voyait à chaque jour se désagréger un peu plus dans son miroir. Pourquoi s’en serait-il inquiété, ce visage n’était pas le sien. Ce n’était qu’une figure d’emprunt que la vie lui avait fourni pour ce voyage ici-bas où rien ne nous appartient. Son moi profond échappait aux contraintes du temps : il était de toute éternité, et la beauté indicible qui le revêtait était celle du principe de l’univers : Dieu.
Aussi l’homme voyageait-il maintenant avec sérénité sur ce long fleuve au cours périlleux qu’est la vie. Il y avait longtemps qu’il avait dégarni sa barque de tout le superflu qui pouvait l’alourdir inutilement. Aussi affrontait-il la grosse lame avec calme et confiance, d’autant plus rassuré qu’il avait comme guide l’Auteur de ses jours avec qui il partageait une connivence et une confiance totales, le laissant diriger sa barque à sa guise, dégagé de toutes préoccupations quant aux chemins que celui-ci empruntait pour le conduire à bon port, ayant abandonné toute forme de prétention pour lui-même, dépouillé dans sa personne pour mieux se revêtir de l’esprit.
« Je n’ai plus rien, c’est pourquoi je m’identifie à la joie. J’ai perdu toutes les mousses qui s’accrochaient à mon identité, et mon identité même. » (Joseph Folliet)  
  

1 commentaire:

  1. J'aime visiter votre blog. Tous vos sujets poussent à la réflexion. C'est si bien écrit!
    Que ce soit le récit de vos magnifiques contes ou vos profondes pensées philosophiques, ils enrichissent l'être.
    Vous avez tout mon respect. Je vous souhaite une longue continuation.
    Marie-Thérèse

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