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lundi 19 septembre 2011

Le fil d’or


        


Toute sa vie, cet homme avait cherché, mais en vain, ce qui l’empêchait de monter, de se dépasser, de voguer vers ces grands espaces de paix et de liberté où l’esprit peut enfin s’y développer en toute sérénité. Et cela le désespérait, parce qu’il n’arrivait pas à trouver l’obstacle qui faisait opposition à ses efforts. Ce qu’il savait, c’était qu’il voulait aller plus loin, plus haut, au-delà de ce qu’avait été sa vie à venir jusque là. Un désir qui se faisait toujours plus pressant avec le passage des ans, d’être plus, de faire plus, de s’élever au-dessus de son quotidien asservissant, même s’il ignorait le mode opératoire pour y parvenir.
Confusément, il devinait qu’il devait se départir de quelque chose, s’il voulait parvenir à cet état de simplicité qui lui permettrait enfin d’atteindre l’idéal de vie susceptible de lui apporter la parfaite satisfaction aux aspirations de son cœur. Cela il le pressentait, car plus il faisait effort pour sortir de lui-même, vers une transcendance sur laquelle il n’arrivait pas à mettre de mots, plus il prenait conscience du poids des attaches qu’il traînait misérablement avec lui depuis toujours.
Et puis un beau jour, lors d’un week-end d’été idyllique loin des soucis de la maison, alors qu’il était en visite dans une abbaye de renom, attiré par l’aspect apaisant du décor champêtre au milieu duquel s’élevaient les bâtiments de ce monastère, il avait fait la connaissance de l’abbé qui avait charge de cette relique du Moyen Âge. Les deux hommes sympathisant rapidement, après quelques heures d’une fraternelle rencontre, notre visiteur avait fini par céder à l’invitation du père abbé de faire retraite à l’abbaye pour la fin de semaine, histoire de se ressourcer dans la solitude des lieux.
Sans que notre homme n’en sût rien à son arrivée dans ce havre de paix, la table était désormais mise pour qu’il découvre enfin la nature des attaches qui l’avaient empêché jusque là de s’envoler vers ces confins de l’esprit où le cœur y a ses raisons. Habitué à lire dans le secret des âmes, le père abbé n’avait pas tardé à deviner, lors d’une conversation intime entre les deux hommes, la nature du questionnement existentiel de son invité. D’autant plus que ce questionnement faisait un peu figure de dénominateur commun pour bon nombre des retraités de l’abbaye : la confuse quête du dépassement de soi, d’un nouvel idéal de vie, dans l’espoir de redonner un sens à son existence, avant de la quitter pour toujours.
Aussi, afin de sauver du temps- la durée du séjour des retraités ne dépassant pas deux jours pour la plupart d’entre eux-, l’hôte des lieux avait clarifié les choses dès le départ avec ceux de ses invités désireux de prendre un nouveau départ dans la vie, en faisant imprimer sur un feuillet cette sentence de Daniel-Rops qu’il leur remettait en main propre : « Les plus grands efforts de l’homme pour se dépasser son vains si, au-delà de soi-même, c’est encore soi qu’il recherche, et non une réalité supérieure. »
L’homme désirant ardemment prendre son envol vers de nouveaux sommets, le père abbé lui avait enfin révélé le secret de ce dépassement qui ne pouvait s’accomplir qu’en quittant, en abandonnant, en laissant des choses derrière soi, pour aller vers l’essentiel. Rompre le fil qui avait toujours empêché l’oiseau de s’envoler vers l’azur jusque là inaccessible. Pour certains, ce fil représentait le lien qui les rattachait aux affections terrestres. Derrière cet attachement excessif aux valeurs matérielles de ce monde, se cachaient trop souvent ces véritables sangsues de l’âme que sont le respect humain, le culte du moi, l’obsession du paraître, l’ambitions des places en vue et des honneurs, l’orgueil, le mensonge, l’astuce, la sollicitude exagérée des faveurs, la folle prodigalité, le luxe ruineux, la bombance éhontée, le libertinage, la concupiscence, les infidélités de tout ordre. En un mot, le tyrannisant esclavage de l’esprit sous le despotisme de la chair.

Pour d’autres, le fil se situait plutôt au niveau de la sécheresse et des duretés du cœur, là où s’entassent dans les placards de l’esprit tous ces pardons retenus, ces fermetures aux autres, la haine, la jalousie, le dénigrement, l’égoïsme, la peur de l’échec, l’envie, la jalousie, les inquiétudes, les déceptions, les désespoirs, les remords cuisants, tous ces torts envers  notre prochain qu’on cherche à se faire pardonner alors qu’on est soit soi-même si chiche d’indulgence pour le mal qui nous est fait.
Esclaves d’une idée fixe se résumant le plus souvent à ce triste idéal de l’appât du gain et de la réussite brillante, les invités du père abbé étaient appelés à prendre conscience que le fil qui les empêchait de se dépasser tenait justement au fait qu’ils faisaient de cette idée d’ascension dans la société la finalité de leur vie. Pour elle, ils oubliaient tout, obnubilés par leurs rêves de richesses et d’élévation sociale. Aussi, dès l’instant où ils se voyaient menacés de perdre ne serait-ce qu’une partie de ce pactole, ils devenaient les plus malheureux des hommes, pestant, frappant, s’agitant comme des diables, tout prêts à sombrer dans le désespoir pour peu que se concrétise cette menace de perdre ces jouets insensés en lesquels ils avaient mis tout leur contentement.
Au soir du deuxième jour de sa retraite improvisée, notre visiteur savait à présent quelle était la nature de ce fil qui l’avait toujours empêché de s’élever vers une conscience claire des vraies priorités de la vie. Selon l’usage qu’il ferait de cette révélation, celle-ci le mettrait à l’abri de la fascination générale qui causait tant de  malheur et de misère chez les hommes. De même, elle le conduirait à l’avenir à n’attacher qu’un faible prix à la possession des biens terrestres. Ainsi pourrait-il faire l’acquisition de ceux-ci sans passion, et en user sans vaine inquiétude, puisque capable de les perdre éventuellement sans regrets superflus. Désormais en paix avec lui-même et ses semblables, il accomplirait les devoirs de sa charge avec justice et indulgence, montrant même à l’égard de ses adversaires une bienveillance qui excuserait leurs fautes ou leurs intentions. Aussi, bienheureux serait-il dans le futur, parce qu’il aurait en perspective les biens de l’éternité, admirable récompense de son mépris envers les biens illusoires de notre monde.  
Mais tout cela demeurait dans le domaine de l’hypothétique pour l’instant. Car toutes ces promesses de félicité dépendraient du choix de notre homme, face à cette révélation sur la nature de la servitude qui l’avait empêché jusque là de s’envoler vers les hauts sommets de la paix intérieure. Il avait le choix de rompre avec son passé aliénant, ou celui de garder sa vie dans l’état actuel des choses. Un choix des plus difficiles, car cette attache ferait sentir de la résistance. Peu d’hommes en ce monde arrivaient à en rompre le lien, car elle était constituée d’un fil d’or !      

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