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samedi 28 janvier 2012

Le bouc émissaire

Avec la venue de la nuit, la température avait chuté de plusieurs degrés en montagne. Si bien qu’il commençait à faire froid dans le chalet familial qu’occupaient le grand-père et son petit-fils. Bien que la porte fût soigneusement close, un coulis d’air frais filtrait dans la salle entièrement boisée, refroidissant sournoisement la pièce. Comme du givre, déjà, étoilait les vitres des deux petites fenêtres percées de chaque côté de la porte, le vieil homme avait jugé plus prudent de rajouter deux grosses bûches de merisier dans l’âtre de pierre, afin de retrouver un niveau de chaleur confortable.
-- Va falloir chauffer toute la nuit, dit le grand-père à son petit-fils, tout en lui servant une copieuse assiettée de l’odorante fricassée qu’il venait de préparer pour leur repas du soir.                                                                                                                
Un ragoût concocté à partir de la viande blanche du poulet qu’il avait fait cuire en après-midi sur la flamme du foyer, et dans lequel il avait jeté pommes de terre, carottes, oignons, céleri et poireaux. Le tout sauté au beurre puis mijoté dans une sauce élaborée à partir d’un bouillon de volaille assaisonné aux fines herbes.
-- Je peux m’en occuper du feu cette nuit, grand-p’pa. J’ai juste à mettre la sonnerie de ma montre… Parce que t’as raison, ce sera pas chaud. Ça pinçait déjà quand on est revenus de notre randonnée en raquettes, tout à l’heure… Je te l’ai pas dit, mais j’étais gelé.
-- T’étais pas le seul… Rendu à mon âge, tu vas avoir encore plus froid. Plus on vieillit, plus on est frileux… Mange pendant que c’est chaud… Pour le feu, c’est gentil de me le proposer, mais je vais m’en occuper. J’ai toujours été un peu insomniaque, et quand je ne dors pas dans mon lit habituel, j’ai beaucoup de difficulté à trouver le sommeil.
Le vieil homme se servit une généreuse assiette de fricassée à son tour, puis avant de s’asseoir à la table plongea une main dans son sac à dos qu’il avait déposé sur son lit à son arrivée, afin d’y prendre un livre. Un volume qui à l’évidence avait passé entre plusieurs mains à voir dans quel état se trouvait sa couverture. Le présentant à son petit-fils, il lui dit :
-- Tu vois j’avais prévu la chose. Si je n’arrive pas à dormir, ce livre va me tenir compagnie au coin du feu, cette nuit… J’achève de le relire… Tu lis ça, et t’en as mal aux tripes en découvrant tout ce qu’a vécu l’auteur. C’est inimaginable les horreurs qui sont décrites dans ce livre-là… Inimaginable que des êtres humains aient pu faire ça à d’autres êtres humains à notre époque… Et aussi inimaginable encore que les plus hautes instances internationales qui auraient pu modifier le cours des choses racontées là-d’dans aient si peu fait pour en changer le déroulement ! 
-- « J’ai serré la main du diable », dit le garçon, tout en s’emparant du bouquin défraîchi que lui tendait son grand-père… « La faillite de l’humanité au Rwanda » dit-il encore, lisant tout haut ce qui était écrit sur la couverture… Le livre du général Dallaire..! Aie, je savais pas que t’avais ça, je te l’aurais emprunté..! J’aimerais ça que tu m’en parles un peu, grand-p’pa…
-- Mangeons, puis on en discutera après le souper.
Les deux hommes mangèrent avec appétit, trempant de grosses tranches de pain dans leur fricassée, tout en devisant gaiement de choses et d’autres. Après avoir soupé copieusement, le grand-père utilisa une grande bassine dans laquelle il avait fait fondre de la neige en après-midi, pour laver la vaisselle. Aidé par son petit-fils, la tâche fut vite expédiée. Si bien que moins d’une heure plus tard, ils se retrouvaient l’un en face de l’autre dans leur berceuse grinçante respective, une tasse de café odorant à la main, prêts pour un autre tête-à-tête de réflexions et de questionnements sur un thème de leur choix.
-- Alors, jeune homme, tu voudrais qu’on parle du livre du général Dallaire?
-- Oui, j’aimerais ça, je l’ai jamais lu…
-- Puisque tu t’intéresses à ce livre, c’est parce que tu dois en savoir un peu sur le génocide rwandais de 1994 ? 
-- Ben, un peu, comme tout le monde… Pas plus qu’il faut, je suis né en 94…
     -- Je vais te résumer le livre…
    -- O.K., je t’écoute…
    -- Roméo Dallaire, comme tu le sais, c’est un général, un militaire de carrière aujourd’hui à la retraite…Un soldat d’expérience à qui on avait demandé au départ, du fait notamment qu’il était bilingue- la demande était venue du siège des Nations Unies à New York-, s’il avait quelque objection à formuler quant à son éventuelle participation à une mission de paix outre-mer, au Rwanda… Le pays, à l’époque, était en train de négocier un traité de paix pour mettre fin à deux ans et demi d’une guerre fratricide entre le Front patriotique rwandais et le gouvernement… Pendant que les parties négociaient les termes d’un traité de paix en Tanzanie, le président de l’Ouganda avait demandé aux Nations Unies de dépêcher un petit contingent de casques bleus pour surveiller la frontière entre l’Ouganda et le Rwanda, afin de s’assurer que ni des armes ni des combattants ne la franchissent pour renforcer le Front patriotique.
    -- Et le général avait accepté la mission ?
    -- Bien sûr, et avec enthousiasme. Le général Dallaire était un homme de terrain qui aimait relever les défis. On lui avait décrit sa mission comme une classique opération de maintien de la paix destinée à établir un climat de confiance entre les belligérants et veiller au règlement pacifique du conflit… Avec cette précision : « Cette affaire-là devait être de taille réduite et coûter le moins cher possible. Autrement, ça ne passerait pas au Conseil de sécurité. » Dès le départ, le général se voyait donc contraint de conduire sa nouvelle mission, non pas avec les effectifs qu’il jugerait nécessaires aux exigences réelles de la situation, mais bien plutôt en fonction de ressources limitées. 
    -- Ça commençait mal, non ? 
    -- Plutôt, oui. Un pays tout entier était au bord de s’entre-tuer, et on lésinait sur les effectifs nécessaires pour prévenir la chose… Bref, pour faire une histoire courte, une fois rendu au Rwanda, le général Dallaire devait découvrir la dure réalité d’un conflit pourri qui menaçait à tout instant de dégénérer… Et, effectivement, c’est ce qui devait arriver, suite à l’écrasement au sol, à l’aéroport de Kigali, de l’avion du président Hutu Habyarimana, au début d’avril de 1994…Comme l’enquête sur les causes de l’écrasement de l’avion donnait à penser dès le départ qu’il pouvait s’agir d’un attentat, l’armée prenait le contrôle du pays en raison de l’insécurité causée par la mort du président… La suite, regarde au dos du livre, c’est écrit noir sur blanc…
    Le grand-père tendit le livre à son petit-fils et lui pointa de l’index le passage qu’il devait lire.
-- « Pris entre une guerre civile sanglante et un génocide impitoyable, dit le garçon à voix haute, le général et ses hommes- une petite troupe-, furent bientôt abandonnés, sans aucune ressource, par leurs patries respectives. Pour lutter contre la vague de tueries qui ravageaient ce pays, ils ne purent compter que sur leur propre générosité et sur leur courage personnel… En moins de cent jours, la guerre au Rwanda allait faire plus de 800,000 morts et au-delà de trois millions de blessés et de réfugiés. »
-- C’est beau, arrête-toi là, dit le vieil homme. La mission de la MINUAR- c’est ainsi qu’elle s’appelait-, se solda par un échec retentissant… Cette tragédie impensable, le général Dallaire l’impute, entre autres, au mandat inflexible du Conseil de sécurité des Nations Unies, aux complexes manipulations politiques de toutes sortes, et à ses propres limites dans ce tourbillon effrayant de haine et de barbarie au sein duquel il s’était retrouvé… Mais ce dont le général devait le plus souffrir, au cours de son tragique mandat, c’est de l’indifférence effrayante que manifestait la communauté internationale face à la situation critique de ce petit pays de quelque sept à huit millions d’habitants… Le Rwanda, du fait qu’il n’a aucune valeur stratégique et ne possède pas de ressources naturelles susceptible d’intéresser quelque puissance que ce soit, ne valait pas que la communauté internationale unisse tous ses efforts pour l’empêcher de sombrer dans la violence génocidaire qui déferlait alors sur lui… Veux-tu un autre café, jeune homme ?
-- Ah non merci, je dormirai pas, grand-p’pa. 
            Le vieil homme se leva et se rendit faire le plein à la cafetière fumante qui trônait sur son réchaud au centre de la table, puis regagna sa place, reprenant son récit là où il l’avait laissé.
-- Le général est précis dans ses blâmes… Il cite, entre autres, les Etats-Unis, la France et le Royaume-Uni qui, dit-il, se contentèrent d’observer, de s’abstenir de faire quoi que ce soit, sinon de rappeler leurs soldats, ou, tout simplement, de ne pas les envoyer, au moment opportun. Ce alors que ces nations influentes possédaient des représentants au  Conseil de sécurité… Le général Dallaire raconte qu’il a encore en mémoire le jugement d’un groupe de hauts fonctionnaires qui étaient venus pour évaluer la situation pendant les premières semaines du génocide. Des milliers de personnes avaient déjà été massacrées, et rien ne donnait à penser que les choses allaient en rester là. Au contraire, la tuerie prenait de l’ampleur à tous les jours, car la Belgique, notamment, qui avait un contingent de soldats sur place l’avait retiré, suite au massacre de dix de ses militaires… Pour revenir aux bureaucrates en question, « nous recommanderons à notre gouvernement de ne pas intervenir », dirent-ils au général qui ne savait déjà plus où donner de la tête pour tenter d’empêcher l’irréparable avec sa petite troupe déjà amputée de certains de ses meilleurs effectifs. « Car les risques sont élevés, et il n’y a ici que des êtres humains. » 
-- Ils ont dit ça..? dit le garçon, l’air effaré, les yeux démesurément grandis, tant la chose lui paraissait invraisemblable.
-- Ce qu’il y a de malheureux dans notre société cynique et féroce, c’est le fait que de tels hommes soient en poste d’autorité dans des situations aussi difficiles à gérer que celle dans laquelle s’est retrouvée le général Dallaire, au Rwanda… Le pire, c’est que pareils individus capables d’exprimer ouvertement et sans ménagement de telles opinions qui choquent le sentiment moral du commun des mortels n’occupent pas ces postes de commande suite à quelque erreur de jugement de leur employeur lors de leur mise sous contrat…Oh ! non, jeune homme. C’est à dessein que de tels hommes remplissent ces fonctions, parce qu’ils ont l’étoffe nécessaire pour poser de tels actes… Il faut se garder dans cette tragédie d’une condamnation de la stupidité apparente de l’ONU… Les décideurs qui sont à la tête de l’agence des Nations Unies sont tout, sauf des imbéciles… Rendu à ce niveau de décision, l’homme de la rue n’a pas idée des pressions qui s’exercent en coulisse dans les bureaux de son siège social… Les nations les plus influentes possèdent des représentants permanents à son Conseil de sécurité. Et comme par hasard, ce sont ces nations qui sont les principaux bailleurs de fond de son organisation… De ce fait, ils disposent d’un pouvoir quasi absolu dans les opérations de pacification entreprises par les Nations Unies. 
-- Si telle opération sert leurs intérêts personnels, ils l’appuient. Si c’est pas le cas, ils font de l’obstruction, ou des manœuvres de même… C’est ça ?
-- Des dizaines et des dizaines d’analyses, d’études, de rapports et de livres ont été produits à ce jour sur le génocide, sur la complexité du commandement militaire et les interfaces politiques qui ont eu lieu sur le terrain, pendant la mission. Beaucoup de travaux universitaires également, dont nombre d’études américaines dans le lot… Leurs auteurs permettent aux lecteurs de jeter un regard privilégié sur ce qui se passe dans les centres décisionnels, qu’il s’agisse du gouvernement américain ou des couloirs de l’ONU… On y trouve des témoignages de premier plan, une analyse des médias, une critique de l’administration américaine de l’époque, une condamnation des Nations Unies et de ses nombreuses  défaillances dans son rôle de gardienne de la paix dans le monde.
Le vieil homme s’arrêta un instant, dévisageant son petit-fils avec un air sous-entendu,  comme pour mieux le pénétrer de la suite de son propos :
-- Ces mêmes Nations Unies qui, aujourd’hui, par le biais de son Comité sur la torture, faisaient pression sur le gouvernement canadien pour qu’il revienne sur sa décision d’expulser un ancien conseiller politique hutu réfugié chez nous et accusé d’être l’un des instigateurs du génocide de 1994, en raison des risques de torture que le criminel de guerre présumé encourait s’il était retourné dans son pays… Ce alors que la Cour suprême qui s’était penché sur son cas avait confirmé en 2005 son expulsion ordonnée en 1996… Depuis vingt ans que l’homme multipliait les démarches judiciaires pour éviter son éviction… L’hypocrisie des hommes. D’un côté on manque à tous ses devoirs en laissant 800,000 personnes démembrées à coups de machette. De l’autre, on crie au loup, au nom de la bonne conscience, afin de prévenir les possibles sévices à l’encontre d’un tyranneau politique qui, au cours d’un discours qu’il avait prononcé en 1992, avait qualifié les Tutsis de « cafards » et avait appelé son peuple, les Hutus, à tuer les Tutsis et à les jeter dans les fleuves du pays..! Rappelle-toi Sartre : « S’il y a faute, il y a expiation, et aussi rachat. » Il n’y a que les lâches qui n’assument pas les conséquences de leurs actes !
Le grand-père, comme ébranlé par ses propres paroles, se leva et alla se planter devant l’une des fenêtres de la pièce où il y resta un moment à regarder à l’extérieur. Contemplant le relief montagneux sous sa couche de neige, il dit à la fin, laconique : 
-- La nuit est étoilée. Il fera beau demain, mais ce sera froid.
Comme il regagnait sa berceuse, l’air songeur, son petit-fils lui dit :
-- Tu m’as pas dit si le général Dallaire avait été blâmé, dans toute cette histoire…
-- J’y arrivais, justement… Pendant un certain temps, oui, il devint un bouc émissaire commode pour tout ce qui avait mal tourné au Rwanda… Mais il ne fut pas le seul… De fait que des personnes avaient été massacrées dans des églises où elles avaient trouvé refuge dans l’espoir d’y être épargnées, certains en profitèrent pour souligner à gros traits le silence du Ciel, face à toutes ces horreurs… Mais Dieu en a l’habitude, malheureusement. Car ce n’est pas d’hier que l’échec subi par la communauté internationale lors de crises majeures Lui en est imputable. Ce ne sont pas les reproches qui manquent à son égard, dans ces cas-là… Pourtant, en y regardant de plus près, c’est presque toujours notre faiblesse à se porter au secours de ceux de nos semblables en situations de crise qui a fait que les choses ont souvent tourné au désastre. La prétendue insensibilité de Dieu lors d’événements particulièrement révoltants soulève de l’indignation. Certains vont jusqu’à le taxer de Dieu cruel, du fait que tant d’horreurs peuvent déferler sur notre monde sans qu’Il n’intervienne… Et pourtant Dieu ne nous a-t-il pas donné plein pouvoir sur cette Terre..? N’est-ce pas nous qui sommes les gardiens de ce monde et qui avons charge de veiller les uns sur les autres et de mettre au pas les tyrans qui menacent la vie de millions de nos semblables..? Mais encore faut-il qu’on ait la volonté et le courage de s’en préoccuper et d’agir en conséquence, car nous avons toujours le choix… C’est le choix qui différencie l’homme de l’animal, en ce monde. L’homme est libre, il décide par lui-même. Il a le choix des gestes qu’il pose, donc de ce fait il est responsable… Le choix de l’action à entreprendre dans une situation donnée a toujours des conséquences, positives ou négatives. Nous devons assumer ces conséquences, en hommes libres que nous sommes, et surtout avoir la décence de ne pas blâmer Dieu pour nos lâchetés ou nos erreurs… C’est souvent l’incompréhension devant une fatalité qui les dépasse qui pousse tant de gens à tenir Dieu pour responsable de nos malheurs.
-- Ou mieux, nier son existence, dit le garçon. (Changeant sa voix pour imiter un quidam :) « Il n’y a pas de Dieu… Aucun Dieu ne pourrait permettre de telle horreurs !»
-- J’ai déjà entendu des choses semblables, malheureusement… Mais revenons au général Dallaire, pour un instant… Au cours du génocide, il avait soumis un plan pour une intervention internationale de 5 500 soldats de la paix afin de mettre un terme aux tueries. Mais son plan d’action ne fut jamais adopté… Quelques années après le massacre, ce document fut soumis à une analyse militaire par des officiers de haut rang… Leur conclusion fut à l’effet que l’intervention planifiée par le général aurait, selon des prévisions optimistes, mis un terme au génocide. Ou, à tout le moins, réduit de façon spectaculaire le nombre des victimes du massacre… Tu vois, on a toujours le choix… Ou on s’en mêle, ou on laisse courir les choses, avec toutes les conséquences que cela implique… Mais de grâce arrêtons de tenir Dieu pour responsable de toutes ces situations pourries qui dégénèrent, en raison de notre mollesse, de nos bas calculs et de nos manquements éhontés..! On a estimé que quatre millions de personnes ont péri au Congo et dans la région des Grands Lacs en 2003, du fait de l’apathie des Etats-Unis à mettre un terme à la guerre régionale qui s’en suivit.
-- Tu veux dire suite au génocide ? 
-- Exactement. Cinq fois plus de tués qu’au Rwanda… Encore une fois, le monde ne fit rien à part envoyer une mission de paix dotée de peu de moyens… Il  fallut l’œil inquisiteur des caméras de télévision pour que les pays se décident enfin à agir en dépêchant à contrecoeur une mission temporaire, afin d’essayer d’arrêter les tueries… Tu vois, toujours le choix… Tellement de choses pourraient changer si nos décideurs n’étaient pas empêtrés dans les complexes manœuvres politicardes qui caractérisent notre monde vénal et mercantile… Pour Dieu, la vie humaine a une grande valeur. Elle est précieuse à ses yeux. Et c’est pour cela qu’il nous en demandera des comptes à notre mort, car nous sommes tous collectivement responsables les uns des autres.  Mais cela est-il bien compris par les hommes ?
-- C’est une question ?
-- Non, une réflexion… Le général Dallaire entendit bien des choses de la bouche de militaires cyniques au cours de sa mission de paix au Rwanda… Des propos à désespérer d’en arriver un jour à un monde plus conscientisé… C’est ainsi qu’un officier américain n’éprouva aucune gêne à lui dire que la vie de 800 000 Rwandais ne valait pas de risquer la vie de plus de dix soldats américains… Les Belges de leur côté, après avoir perdu dix de leurs hommes déclaraient que la vie des Rwandais ne justifiait pas de risquer celle d’un seul autre soldat belge… Si on avale de telles monstruosités sans réagir, c’est triste, parce que cela revient à dire que le concept de droits humains qui suppose que toute vie humaine possède une valeur égale est une utopie !  
-- C’est croire à la hiérarchie des races, non ?
-- Tout à fait. C’est même décider de façon arbitraire qui mérite d’être secouru et qui, non… Savais-tu que la non-intervention dans les situations où des hommes souffrent cruellement du fait des sévices de leurs semblables est jugée répréhensible par l’Église..? J’ai transcrit à ce sujet les paroles d’un éminent personnage sur la dernière page de mon livre. Un homme qui par son insigne sagesse et ses conseils éclairés a laissé de son vivant une profonde empreinte sur notre monde divisé… Tiens, prends le livre et lis par toi-même pour mieux t’imprégner de ses paroles… Lis tout haut afin que j’apprécie une fois plus toute la sagesse inspirée de son propos…
-- «  L’autorité du droit et la force morale des plus hautes instances internationales sont les fondements sur lesquels repose le droit d’intervention pour la sauvegarde de populations prises en otages par la folie meurtrière de fauteurs de guerre… » Jean-Paul II dans un message transmis au secrétaire général Boutros Boutros-Ghali à New York en 1994… Le pape lui avait envoyé ce message pendant le génocide?
-- Je n’ai pas la date précise, malheureusement. Mais on peut supposer, sans grand risque de se tromper, que la communication en question devait avoir un lien direct avec ce qui se passait au Rwanda.
-- On a fait le tour?
-- On ne fait jamais le tour de rien dans notre monde en perpétuelle évolution… Au Rwanda, comme l’a si bien écrit le général Dallaire dans son livre, il a serré la main du diable. Il l’a vu, il l’a senti, il l’a touché. Et il a ajouté : « Connaissant l’existence du démon, celle de Dieu va de soi… » Bon, assez parlé de tout ça !
-- On va se reposer l’esprit. On va parler de hockey…
Se levant pour aller ajouter une autre grosse bûche dans le foyer, le grand-père s’immobilisa devant son petit-fils, puis avec un regard d’intelligence complice et un sourire en coin, il lui dit :
-- Un de ces jours, si ça te chante, on pourrait parler du Bien et du Mal… Là, on va se torturer les méninges !

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