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samedi 21 janvier 2012

La traversée de l’Achéron


Le temps s’était légèrement réchauffé en après-midi en montagne. Le grand-père et son petit-fils, après un premier échange fructueux sur le thème du mysticisme chrétien, en avaient profité pour faire une randonnée en raquettes dans les environs de leur chalet, histoire de se dégourdir un peu les membres. Les larges « pattes d’ours » de leurs raquettes s’imprégnaient dans la poudreuse à chacun de leurs pas, en laissant la marque de leur passage sur la pente raide de ce monde de roc et de neige au sein duquel ils avaient choisi de faire leur petite excursion.
Un large couloir parsemé de sapins chétifs serpentait vers le sommet sur leur droite. Les petits conifères, en raison de leurs branches plongeantes, contribuaient à retenir les amoncellements de neige des hauteurs qui en couvraient tout le paysage comme d’un suaire. Une grandeur étrange et triste se dégageait de toute cette immensité endormie, troublée seulement par instants par le cri éraillé d’un oiseau rapace volant à tire-d’aile vers son nid.
-- Il est temps de rentrer, ça commence déjà à refroidir, dit le grand-père d’une voix essoufflée, après plus d’une heure d’ascension, tout en retirant ses lunettes de soleil. On peut enlever ça, on n’en aura plus besoin.
Face au soleil couchant qui lentement avait commencé à s’estomper à l’horizon et leur donnait l’étrange impression que le vide se creusait davantage sous leurs pieds, les deux hommes jugeaient plus prudent de redescendre vers leur refuge. Le chalet de rondins édifié au milieu d’une arête boisée, à quelques centaines de mètres plus bas, leur paraissait minuscule dans la pénombre bleue qui était à s’installer. Avec la disparition du soleil, le froid mordant et la mauvaise visibilité pouvaient présenter un mélange dangereux pour deux randonneurs attardés en montagne. Déjà un vent glacial montait de la vallée et s’engouffrait en sifflant entre les crevasses et les aspérités des hauteurs.
Trente minutes plus tard, comme les deux randonneurs atteignaient leur cabane, le jeune homme trébucha contre une pierre invisible sous la neige. Déchaussée, celle-ci dévala vers le bas dans un roulement étouffé au milieu de la couche neigeuse. Néanmoins, le bruit de sa chute se propagea dans une onde décroissante qui, le temps d’un souffle, sembla se répercuter sur la région tout entière.
-- Quel lieu, quelle solitude grandiose, commenta le grand-père d’une voix empreinte d’un étrange respect, tout en balayant du regard le relief montagneux autour de lui. Si on était au Tibet, les moines bouddhistes y auraient déjà érigé un monastère depuis longtemps… Vitre entrons se réchauffer et se préparer un bon café.
Une heure plus tard, le large foyer rempli d’une nouvelle bourrée de bûches d’érable odorantes dont les flammes léchaient avec avidité un poulet rôti à la broche, les deux hommes, un café brûlant à la main et leurs bottes trempées fumant près de la vaste cheminée, bavardaient de choses et d’autres au coin du feu.
-- Alors mon garçon, on jase de tout et de rien, mais on n’a pas fait toute cette route jusqu’ici pour parler de la pluie et du beau temps…Y a-t-il un sujet en particulier que tu voudrais qu’on aborde, avant de passer à table pour le souper ?
-- Oui, peut-être… Suite à notre conversation de l’autre jour sur ces expériences troublantes de mort imminente, je t’avoue qu’il y a des questions qui me sont passées par la tête…
-- Tu aimerais en reparler..? Vas-y, jeune homme, je t’écoute.
-- Moi ce que je veux savoir d’abord, c’est ceci : sait-on s’il y a des personnes qui sont déjà entrées dans la lumière..? Je parle des gens qui ont vécu une expérience de mort imminente, soit à la suite d’un arrêt cardiaque, d’une mort clinique, d’un grave accident ou tout ce que tu voudras du genre…
-- La mystérieuse lumière au bout du tunnel… Ceux qui ont été en contact avec cette source lumineuse affirment qu’ils ont ressenti en sa présence une impression de paix et de bien-être inégalable… Certains ont parlé aussi d’une sensation d’amour infini à son contact… Et ils sentaient qu’ils étaient l’objet de cet amour… Bref, ceux qui sont passés par cette expérience parlent d’un instant de félicité à nul autre pareil… Dans les témoignages qui ont été recueillis, toutes ces bonnes gens affirment avoir été attirées par cette étrange lumière. Au point qu’elles n’avaient qu’un désir, aller vers elle pour s’en laisser totalement envelopper… Le hic, du moins pour celles qui sont revenues pour en témoigner, c’est qu’une voix les mettait en garde contre cette tentation, leur affirmant qu’elles n’étaient pas prêtes à entrer dans cette lumière… Rappelle-toi le témoignage de la femme cliniquement morte, celle dont il n’y avait plus aucune activité électrique de son cerveau… Cette voix lui disait « qu’elle n’avait pas encore accompli ici-bas tout ce dont elle devait s’acquitter… » Et elle l’avisait qu’à l’instant où elle entrerait dans cette lumière, elle ne pourrait plus en ressortir.
-- T’en penses quoi, grand-p’pa ?
-- Qu’à l’instant où tu passes de l’autre côté de cette lumière, tu franchis l’Achéron, le fleuve des Enfers dans la légende grecque, le fleuve de la mort !
--  Et il se passe quoi après ça ?
-- C’est le « pays d’où on ne revient pas »… C’est l’au-delà, le monde supraterrestre… Nul n’est jamais revenu pour nous en parler… La vie, l’activité imaginée après la mort n’est que spéculation… Mais peut-être qu’il est tentant de croire que cette fameuse lumière en est comme l’antichambre… Une femme racontait qu’elle avait vu défiler sa vie au grand complet en sa présence, les bons comme les mauvais moments, ceux en particulier dont elle était le moins fière, et que cette lumière ne la jugeait pas. Au contraire, c’était plutôt elle qui se jugeait sans complaisance, à son contact… Un homme rapportait pour sa part avoir eu l’impression d’accéder à la connaissance parfaite de toute chose, en face d’elle… Reconnaissons-le, ce n’est pas banal comme expérience.
-- Cette lumière, finalement, ce serait la porte du paradis ?
-- Qui sait… Pour ma part, je suis toujours persuadé qu’il existe un lieu où les âmes des justes jouissent de la béatitude éternelle. Et que nous sommes mis en jugement, à l’instant de notre mort… Et que n’entrent dans ce « Royaume des cieux »- j’emprunte le terme à l’Évangile-, que ceux qui en sont les héritiers, et que ce nombre doit être plutôt restreint… « Beaucoup d’appelés, mais peu d’élus », a dit Jésus… Ces paroles donnent à penser que beaucoup sont retournés à la porte… À mon avis, nous sommes privilégiés d’avoir accès à des témoignages de l’ordre de ceux que nous racontent certaines personnes qui ont fait l’apprentissage de cette expérience de mort imminente.
-- Parce qu’on en sait plus maintenant sur la façon dont les choses se passent ?
-- Pas exactement, non… Mais une chose sûre, ces témoignages me rejoignent dans ce qui m’a été transmis au sujet du Purgatoire, à l’époque de ma jeunesse… Malgré ce qu’en pensent certains de nos jours, je crois qu’à cette époque on avait le souci d’enseigner la vérité aux hommes… Les valeurs que je professe aujourd’hui me viennent de ce temps révolu… Elles m’ont toujours aidé à vivre, et elles m’ont gardé heureux et confiant dans la vie… Mais revenons à nos moutons… La principale souffrance des âmes des décédés tient essentiellement à la privation de la présence de Dieu… D’une part, ces âmes ont un désir intense de sa compagnie, et de l’autre elles comprennent que c’est à cause des manquements de leur vie qu’elles ne peuvent accéder à cet état de félicité… Il leur faut satisfaire auparavant pour les peines temporelles dues à leurs fautes.
Le vieil homme s’arrêta pour avaler sa dernière gorgée de café, puis fit une grimace, le jugeant à l’évidence trop froid à son goût.  Puis, il poursuivit :
-- Je perçois un lien troublant entre cet enseignement de ma jeunesse et le témoignage de ces personnes… Elles sont déjà, pour ainsi dire, de l’autre côté du fleuve de la mort. Ou, du moins, elles sont sur le point d’aborder sur sa  rive… Et tout baigne d’une lumière intense, d’une félicité dont aucun mot ne pourra jamais nous donner un aperçu… Le bien-être qu’éprouvent ces personnes est tel, qu’elles n’ont d’autre désir que d’aborder sur cette rive et d’y demeurer à jamais… Mais cela leur est refusé… On parlait de jugement, il y a un instant… Pour l’Église, ce serait le Christ qui nous jugerait, lors de ce jugement particulier… « Nul ne va au Père sans passer par moi », a-t-Il dit… Et si tu crois qu’il suffit de demander pardon pour tes fautes passées pour qu’on te déroule le tapis rouge à ta mort, il y a cette autre parole de Jésus qui donne clairement à entendre qu’il y a une peine temporelle à satisfaire pour nos fautes passées : « Tu n’en sortiras pas que tu n’aies remboursé le dernier quadrant… » Nous sommes bourrés de préjugés, de suspicion et d’indifférence envers nos semblables, égoïstes, égocentriques, fermés à leurs malheurs,  et cela c’est quand on n’est pas racistes dans l’âme, avec toutes ces affreuses pulsions conflictuelles qui vont de pair… S’il fallait faire une dissertation sur le thème du Mal, on n’aurait pas assez d’un gros livre pour en répertorier toutes les variantes..! Et indignes comme nous sommes, on aurait la prétention de croire, à l’heure de notre mort, que les portes du paradis vont nous en être grandes ouvertes, comme si de rien n’était..? Que ce soit le Purgatoire ou la réincarnation, le temps qu’on sera appelé à y passer est destiné à se racheter… Sartre écrivait avec beaucoup d’à-propos que « s’il y a faute et s’il y a expiation, il y a aussi rachat. » On parle, on parle, veux-tu réchauffer ton café, jeune homme ?
-- Non, je te remercie… Je veux pas me laisser distraire, j’ai trop de questions qui me trottent dans tête. 
-- Je t’écoute, dit le vieil homme, tout en se levant de sa chaise pour aller refaire le plein de sa tasse à la cafetière fumante qui reposait sur un réchaud à gaz au centre de la table.
-- Le Purgatoire, finalement, ce ne serait pas ici, sur la terre..? Pourquoi je dis ça, c’est que ces personnes qui ont vécu l’expérience de cette fameuse lumière se sont faites dire en sa présence qu’elles n’avaient pas encore accompli ici-bas tout ce dont elles devaient s’acquitter. Et comme par hasard, c’est ici qu’elles sont revenues.
-- Ce n’est pas le témoignage de toutes ces personnes, c’est celui d’une femme en particulier, pour ce que j’en sais… Remarque qu’il doit y avoir une multitude de témoignages semblables, à l’échelle de notre monde… Celles qui sont entrées dans la lumière, on ignore tout d’elles… Pour ma part, j’imagine que seules les âmes des personnes décédés passent de l’autre côté… Celles qui reviennent nous apporter ces témoignages n’avaient pas encore traversé l’Achéron…  
-- Il se passe quoi, à ton avis, une fois que tu l’as traversé ?
-- Selon moi, c’est l’âme elle-même qui se juge… La Perfection est si grande dans le lieu où elle se retrouve, que l’âme prend conscience de l’immensité de son indignité face à cette présence d’Amour… On peut imaginer que selon son degré de pureté, c’est l’âme elle-même qui choisit l’endroit qui sied le mieux à son degré d’évolution spirituelle ou, à l’inverse, de souillure morale, soit le Ciel, le Purgatoire ou la géhenne, l’hadès en grec, le lieu des damnés… Mais on ne partira pas de discussion sur l’enfer… On ne ferait que se perdre en spéculations encore plus grandes.
-- Le Purgatoire et la réincarnation, ce ne serait pas la même chose, en fin de compte ?
-- L’Église réfute toute croyance du genre… Mais des dizaines de millions de personnes à travers le monde y ont foi. Cette conviction est à la base de la philosophie bouddhiste, notamment… Peut-être a-t-elle pour effet de rassurer les gens qui ont cette croyance… On craint moins ce que l’on connaît déjà… On se dit que si on doit satisfaire à la peine temporelle due à nos fautes, ce n’est pas si pire si c’est notre bonne vieille Terre qui fait office de Purgatoire… Pourtant on oublie que l’on vit dans une « vallée de larmes », pour citer la Bible… L’indice régional des gens heureux s’élève à peine à 20% dans les pays arabes… Et seulement 1% de plus en Europe de l’Est… L’Amérique du Nord qui est censée être le fin du fin de la richesse et du bonheur pour tant de peuples de ce monde atteint tout juste 31% au palmarès des gens heureux… Notre Terre compte sept milliards d’individus… Sur ce nombre, deux milliards ne mangent pas à leur faim… Des centaines de millions d’autres vivent dans un état précaire, dans des situations  de conflits larvés, quand ce n’est pas carrément dans un état de guerre déclaré… Le reste trime dur du matin au soir pour joindre les deux bouts, abusé, exploité, écrasé d’impôts, chacun le nez collé sur ses petits intérêts mesquins, dans un monde où la faiblesse intellectuelle et morale des chefs et leur ignorance mettent en danger notre civilisation… Et ce n’est pas moi qui le dis, c’est Alexis Carrel dont les découvertes lui valurent le Prix Nobel de la Médecine… Si c’est cela le Purgatoire, on a tout intérêt à prier pour que la Vérité nous soit révélée, afin que le bien vers lequel on ne doit jamais cesser d’aspirer soit mêlé du moins de mal possible. Car plus tu cultives les valeurs du bien en toi, plus tu es charitable, généreux et désireux de tendre la main aux autres et de les aider. Et ces valeurs ouvrent les portes du Ciel, à ce qu’il paraît… À l’inverse, plus tu dédaignes les valeurs spirituelles, plus tu es égocentrique et égoïste, et plus tu es malheureux. Tu tournes inlassablement en orbite autour de ton nombril, dans ton monde enténébré.
-- Un peu comme le serpent qui mange sa queue ?
-- C’est une bonne image, j’aime bien…
Le vieil homme qui venait de retourner à sa berceuse marqua une pause afin de gratter la manche de sa veste de laine avec son ongle pour enlever une tache.
-- Paraît-il que le plus grand juste pêche sept fois par jour, dit-il au bout d’un instant, alors on a du chemin à faire sur la voie de la perfection !
-- Et Jésus dans tout ça- je sais bien que tu m’as dit qu’il était le Guide suprême qui cherche à nous éveiller à son propre état de conscience-, mais c’est quoi encore son rôle là-d’dans?
-- C’est le Rédempteur, celui qui par ses souffrances et sa mort a racheté le genre humain, après la chute originelle… En clair, pour résumer tout cela- l’heure passe et on a notre souper à préparer- on n’aurait pas pu être invités aux noces royales qui se tiennent dans le Royaume du Père, sans son intercession… T’as déjà entendu parler du mystère de la Rédemption, j’imagine ?
-- Oui, dit le garçon dans un haussement d’épaules, mais c’est loin…
-- Personne n’était digne d’un tel honneur, tant nous étions entachés d’indignité… La mort du Christ a permis qu’on puisse néanmoins recevoir une invitation à ces noces royales, même si la plupart d’entre nous, à leur mort, se présentent à la porte du palais avec un vêtement qui est loin de satisfaire aux exigences du Roi… Mais si on éprouve le désir sincère d’accéder en sa présence, et si on a veillé malgré toutes nos imperfections à donner à notre vie un bilan positif au plan moral, nous sommes considérés parmi les invités… Par contre, si tu n’as aucun intérêt dans cette invitation, ou que tu es souillé jusqu’aux oreilles en plus de n’avoir pas de regret de te présenter avec une tenue aussi crottée pour ces agapes célestes, tu n’as guère de chance de franchir la porte du palais… Mais comme l’a dit encore Jésus, « il y a plusieurs demeures dans la maison de mon Père… » Les justes, bien sûr, accèdent à la salle des noces… Pour les autres invités moins méritants que nous sommes, les autres pièces de la maison doivent servir au nettoyage de notre vêtement, j’imagine, afin que celui-ci redevienne immaculé, jusqu’au jour où nous mériterons à notre tour cette félicité suprême d’accéder enfin à la table royale… Tout se ramène à la pureté, à la transparence, à la lumière, finalement… La lumière éclaire tout avec une extrême netteté. Mais souvent elle est voilée, obscurcie par des nuages ou de la saleté… Si on accepte l’idée qu’on est Lumière, à l’instant où on fait fi de la règle de conduite édictée par l’autorité de Dieu dans notre conscience, on perçoit moins bien cette Lumière présence en nous… Suivant le degré d’indignité de nos agissements, cela peut aller jusqu’à nous détourner complètement de sa Source… Une bougie ne permet pas de voir bien loin dans les ténèbres… Coupés de la Lumière, on risque alors de tâtonner aussi longtemps que l’on acceptera de vivre dans l’errance, loin de son Rayonnement bénéfique… Et pendant tout ce temps, il nous est impossible de retourner vers cette Lumière, si on ne fait pas l’effort de changer de comportement afin d’en retrouver sa Source… Le chemin nous en est voilé… Tu te souviens… « Je suis Lumière, je viens de la Lumière et je m’en retourne vers la Lumière… » Voilà  notre glorieux destin… Il nous faut devenir des hommes de Lumière pour que la Lumière nous reprenne dans son sein, au terme de notre vie… Mais encore faut-il se pénétrer de cette Vérité !  
-- Ce qu’il fallait démontrer, dit le garçon en hochant la tête de haut en bas, avec un sourire énigmatique. Il ne reste plus qu’à s’en imprégner…ou s’en convaincre, selon le cas…

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