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dimanche 12 février 2012

Pierre, m’aimes-tu ?

                                 

La scène se déroule en Galilée, sur les bords de la mer de Tibériade. Jésus, ressuscité d’entre les morts depuis peu, vient de se manifester pour la troisième fois à ses disciples qui ont mis un certain avant de le reconnaître. Sans doute Jésus n’a-t-il plus tout à fait le même visage, la même forme, le même corps que celui qu’il a reçu de l’hérédité de ses parents à sa naissance. Mais ce n’est pas un fantôme. Et ses disciples qui pêchent à quelques encablures au large ne tarderont pas à le réaliser. Lorsqu’ils découvrent cet homme seul sur le rivage au petit matin qui les interpelle amicalement: « Eh ! les amis, auriez-vous quelque chose à manger?», ils sont d’abord un peu surpris, et ils lui répondent par la négative parce qu’ils n’ont pris aucun poisson de la nuit. Mais quand cet inconnu leur dit: « Jetez le filet du côté droit de la barque et vous en trouverez », et qu’ils s’exécutent docilement et remontent un filet rempli à se rompre, Simon-Pierre n’a plus aucun doute : « C’est le Seigneur ! » s’exclame-t-il tout en se jetant à l’eau avant même que leur embarcation n’atteigne le rivage, dans sa hâte de rejoindre son vénéré Maître. 
Au déjeuner, tout le monde s’est retrouvé sur la rive en compagnie de Jésus pour des agapes fraternelles autour d’un feu de braises, quand celui-ci a commandé à ses disciples d’apporter de ces poissons et de venir déjeuner. Leur Maître leur apparaît dans sa chair, et il a les mêmes besoins qu’eux, même si son corps obéit certainement à d’autres lois qui nous sont inconnues.
Alors que les disciples devisent gaiement dans les instants qui suivent ce convivial repas de pain et de poisson, tout à leur joie de retrouver leur Maître ressuscité parmi eux, tel qu’Il le leur avait promis, soudain le Christ dit à Simon-Pierre, tout en désignant le reste de l’assemblée :
-- Simon, fils de Jean, m’aimes-tu plus que ceux-ci ?
Un peu surpris par cette question inattendue de Jésus, Simon-Pierre lui répond spontanément :
 -- Oui, Seigneur, tu sais que je t’aime.
Sur cette réponse, Jésus réplique :
-- Sois le pasteur de mes agneaux.
Mais quelques instants plus tard, alors que les disciples sont restés dans l’étonnement suite à l’étrangeté de cette question dans la bouche de Jésus, ce dernier récidive :
-- Simon, fils de Jean, m’aimes-tu ?
À nouveau la même question pressante pour celui à qui Jésus vient de confier son troupeau. On peut deviner aisément l’étonnement et l’embarras de Pierre devant pareille question impossible à esquiver. D’autant plus que Pierre est sous l’impression depuis le tout début de son adhésion au groupe des « Douze », que son amour pour Jésus est une chose acquise, et que s’il y en a un dont l’attachement ne peut être remis en cause au sein de la bande, c’est bien lui. Et une fois de plus, il répond par la même affirmation :
-- Oui, Seigneur, tu sais que je t’aime.
-- Sois le berger de mes brebis, de dire alors le Christ pour la seconde fois.
Mais quand, dans les minutes qui suivent, Jésus va à nouveau droit au but avec la même question directe : « Simon, fils de Jean, m’aimes-tu ? », Pierre n’est plus seulement décontenancé par l’insistance de son divin Maître à vouloir s’assurer à tout prix de son attachement envers sa personne, mais chagriné de ce que Jésus lui pose cette question pour la troisième fois. Aussi ont peut s’imaginer sans peine le chagrin qu’il doit y avoir dans son regard, dans la réponse qu’il donne à son Maître :
-- Seigneur, tu connais toutes choses, tu sais que je t’aime !
Alors Jésus, pour la troisième fois, confirme son fidèle disciple dans ce rôle de berger des peuples qui désormais sera le sien sur cette terre :
-- Sois le pasteur de mes brebis !
La question a été posée par trois fois avec insistance. C’est dire combien Jésus a besoin d’être rassuré sur la fidélité de son disciple. On le devine, après le triple reniement de Pierre, c’est comme un nouvel appel de son divin Maître à le suivre à jamais, et à s’en remettre à lui dans le futur pour toute chose. D’ailleurs, dans les instants qui suivent, cette exhortation est verbalisé à haute voix : « Suis-moi! »
Deux mille ans plus tard, cet appel ne s’adresse-t-il pas à nous plus que jamais ? Qui au cours de sa vie n’a pas aimé un semblable de tout son cœur, et parfois même avec une passion dévastatrice quand ce n’est pas avec idolâtrie, pour découvrir à la fin que cet amour était illusoire, du fait que cette personne n’éprouvait qu’indifférence pour nous ? Ou pire, qu’après s’être amusé un moment de notre amour, cet être s’était détourné de nous pour un autre…  
Toute notre vie durant, nous sommes confrontés à une espèce d’impuissance à aimer de tout notre cœur, et à se voir payé en retour d’une même réciprocité de passion. De ce fait, nous découvrons au jour le jour de notre vie comme une limite à la capacité que l’amour humain possède de s’accomplir totalement, en s’ouvrant à un autre de ses sentiments. Cette limite est en fait l’impuissance du désir idéalisé de l’homme à pouvoir se réaliser complètement dans les amours terrestres. La réalité, c’est que même dans les amours les plus heureuses, notre désir ne pourra jamais atteindre les sommets de félicité qu’il en attend en retour.
La raison en est que l’autre est également un être de chair plus ou moins centré sur lui-même qui cherche la satisfaction de son désir, tout autant que nous la cherchons. L’un comme l’autre nous sommes en attente de cet amour idéalisé, et chacun espère qu’il le trouvera enfin avec l’apparition de l’autre dans sa vie. Or personne n’a été créé en ce monde pour être le complément d’un autre, pour satisfaire son besoin d’aimer et d’être aimé. Aussi, à chacune de ces désillusions amoureuses, nous laissons un peu plus de nous-même, de notre attente et de nos illusions dans l’aventure. Car jamais cette chair n’arrivera à nous satisfaire et à nous combler, malgré tous les plaisirs qu’elle nous procure.  Dans ce mode d’amour, quelle que soit l’ampleur de la démonstration affective entre les deux amoureux, la norme n’est-elle pas de « prendre », même si nous en sommes plus ou moins conscients ?
L’amour véritable implique le don, l’oubli de soi au profit de l’autre. Combien d’entre nous sont capables réellement d’une telle qualité d’amour ? Nos gestes ne sont-ils pas plutôt sans cesse ajustés sur ceux de l’autre ? N’en venons-nous pas rapidement à donner à l’autre au plan affectif en fonction de ce que nous recevons nous-même de lui ? Et quand ces amours étudiées, mesurées, jaugées en tout sens en fonction de la réceptivité de l’autre à nos transports amoureux en viennent à s’affadir, notre désillusion n’est-elle pas particulièrement amère ? Notre vie ne se transforme-t-elle pas alors en une pénible attente permanente de l’amour avec un grand A, pour peu que notre espoir renaisse et que ce désir qui nous habite toujours en vienne une fois de plus à nous conduire à répondre à un nouvel appel amoureux ? 
L’histoire de l’homme sur cette terre n’est-elle pas une interminable quête d’amour, tant il est vrai qu’au cœur de l’homme son aspiration la plus profonde est d’aimer et d’être aimé ? Sa véritable raison d’être n’est-elle pas l’amour ? D’ailleurs, peut-il seulement s’épanouir autrement que dans l’amour ? Impossible, puisqu’il a été créé par amour et pour l’amour. Dans la mystique chrétienne, l’amour de l’homme pour Dieu répondrait à l’amour de Dieu pour les hommes. Mais comme Dieu a donné avant nous sur ce plan, ne va-t-il pas de soi de répondre à cet amour à notre tour? Cela n’expliquerait-il pas, dans un sens, les ordonnances du premier commandement de Dieu : « Un seul Dieu tu adoreras et aimeras parfaitement» ? 
Voyons quelle définition nous donne le dictionnaire de ce mot « amour » si galvaudé: « Attachement à quelqu’un. Disposition à vouloir le bien d’une entité humanisée (Dieu, le prochain, l’humanité, la patrie) et à se dévouer à elle. »
Se dévouer. L’amour vrai est donc dévouement, don de soi, abnégation, bienveillance, bonté. Si l’image qu’on s’en fait est celle qu’en a donnée Chamfort quand il écrit : « L’amour n’est que l’échange de deux fantaisies et le contact de deux épidermes », rien de surprenant alors que toute notre vie se déroule dans un état de fausseté misérable sur ce plan, tant nous sommes ignorants des élévations de cœur de l’amour vrai ! Si pour nous le mot « aimer » signifie être troublé par un autre, éprouver de l’affection pour lui, l’admirer, le désirer, s’abandonner à lui, vouloir le posséder, quelle forme d’amour est-ce donc, puisqu’on vient de le voir, « aimer » c’est par définition un don de soi à l’autre, aux autres ?
Quand Jésus interpelle ce disciple dont Il sait qu’il a la force du roc en lui, puisqu’Il lui a donné le surnom de « Pierre », et qu’Il lui demande : «  Simon, fils de Jean, m’aimes-tu ? », Il veut s’assurer de l’authenticité de son amour pour Lui, au regard de la mission qu’Il lui confie d’être le pasteur universel de ses brebis. Le Christ sait que Simon-Pierre devra être prêt à donner sa vie, à mourir à lui-même, pour les autres. Et même qu’un jour, cet amour lui vaudra la croix en retour, tout comme pour Lui.
L’amour vrai part toujours de soi pour aller vers les autres. Il donne sans rien attendre en retour, car à l’instant où il cherche à être payé de retour, il cesse d’aimer, puisqu’il cesse de donner. Trompé que nous sommes par nos fausses amours, nous avons toujours peur de ne pas recevoir. Nous attendons de l’amour donné aux autres qu’il soit rentable, qu’il nous paie de retour. Or c’est justement en cherchant ainsi la gratification, que nous n’obtenons rien. Mais en revanche, celui qui donne sans compter, celui-là recevra tout.
L’amour égoïste du retour sur soi est un amour faux qui apporte toujours avec lui la déception et la frustration. Tous nous avons vécu de ces amours attente, de ces amours retour tissés de malentendus qui nous ont conduit à toujours plus de désillusion et de désappointement. Mais à présent, vient l’heure de notre rencontre avec l’amour véritable qui rend libre, puisqu’il est dénué d’attente et qu’il fait fi de l’attachement aux choses. Jésus est là sur le rivage dans cette aube nouvelle de notre vie, et il nous interpelle chacun par notre nom, et la question est directe, aussi impossible à esquiver qu’elle le fût pour Pierre : « M’aimes-tu ? » Sans doute qu’il y a longtemps que Jésus attend de nous une réponse sans détours, mais que du fait de notre silence timoré, il soit obligé à s’abaisser à répéter cette question encore et toujours, pour notre plus grand déshonneur. Car contrairement à Pierre qui l’a renié à trois reprises, combien de fois, pour notre part, ne l’avons-nous pas trahi, du fait de nos infidélités répétées ?
À présent que nous est révélé l’Amour dans son absolu, avec ses exigences de  renoncement, d’oubli et de dévouement pour l’autre, sommes-nous prêts à notre tour, à l’exemple de Pierre, à nous détacher de nous-mêmes et à embrasser cette voie du don de soi qui nous fait expérimenter ce qui est le plus difficile dans l’amour, le risque ?
La question est posée : Des amours vécues selon la chair, ou un Amour vécu selon le cœur ? Mais de grâce, ayons la générosité et la franchise, cette fois-ci, de ne pas esquiver la question pour Celui qui attend une réponse à son Amour depuis si longtemps !  

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